Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/209

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grâce, fit bientôt de rapides progrès dans la vertu. Quand éclata la persécution de 1880, il se cacha d’abord quelque temps, puis voulut se livrer lui-même ; on eut grand’peine à l’en dissuader. Son frère aîné ayant été arrêté sur les entrefaites, il se mit de suite en route pour aller le rejoindre. On parvint encore à l’en empêcher et, pendant qu’il retournait chez lui, bien à contrecœur, il fut rencontré et arrêté par les satellites qui le conduisirent à la prison de Hai-mi où déjà son frère avait été consigné. Il fut traduit devant le tribunal, et sur son refus d’apostasier et de dénoncer les chrétiens, on lui fit subir, malgré son état d’infirmité, l’écartement des os, la puncture des bâtons et autres supplices. On lui scia les jambes avec des cordes d’une manière si atroce, que des morceaux de chair en tombaient détachés. Ces tortures furent répétées dans quatre ou cinq séances, et quoique pendant huit jours on ne lui donnât pas même un verre d’eau, il resta inébranlable, au grand étonnement de tous, car personne ne s’attendait à tant de fermeté de la part d’un pauvre idiot.

Son frère aîné, ne pouvant supporter les tortures, prononça la fatale formule d’apostasie, et retourna chez lui, où il mourut peu de temps après. Cette défection n’ébranla pas la constance de Pierre. Une seule fois, son courage faiblit pendant quelques instants, et il dénonça un chrétien ; mais, reprenant aussitôt sa généreuse détermination, il refusa avec plus d’énergie que jamais de renier son Dieu. La persuasion n’eut pas plus de succès que les supplices. « Estropié que tu es, lui disait le juge, pourquoi veux-tu encore t’exposer aux supplices ? » Pierre rétorquait l’argument : « Estropié que je suis, à quoi bon retourner chez moi, et qu’ai-je à faire en ce monde ? Je désire livrer ma vie pour Dieu, et, dussé-je mourir sous les coups, je ne puis l’abandonner. » De la prison de Hai-mi, il fut transféré au tribunal du gouverneur, où, sans se laisser impressionner par l’apostasie générale, il se montra dans plusieurs interrogatoires aussi ferme qu’auparavant. Il mourut en prison, de faim et des suites de ses blessures, à l’âge de plus de trente ans, dans le courant de la neuvième lune. Quelle leçon pour tous les chrétiens ! Avec Pierre Tien il y avait, dans la prison, des nobles, des riches, des lettrés, des hommes instruits et intelligents ; à quoi leur servirent leurs titres, leurs richesses et leurs talents ? à rendre plus honteuse leur lâche défection. Seul le pauvre idiot eut la vraie intelligence et la vraie sagesse ; seul le pauvre estropié eut la véritable force ; seul le déshérité de ce monde alla en ce jour s’asseoir au banquet du Père céleste. Gloire à Dieu !