Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/418

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sans force, comme s’il avait été meurtri de coups ; pour moi, quoique moins maltraité, je sens à ma salive noircie par l’air mortifère, à ma poitrine haletante, oppressée et irritée, qu’un tel genre de vie serait bientôt mortel.

« Le bon Dieu nous arrache enfin aux rivages chinois : nous sortons du port de Litao, et nous nous dirigeons directement vers la Corée, dont nous ne sommes éloignés que de quatre-vingts lieues. Corée ! Corée ! ce nom qui résonne si bien à tout cœur ardent pour le salut des âmes, ce nom qui n’a retenti en Europe que pour annoncer des persécutions et des martyres, ce nom nous ranime et nous fortifie ; en un instant le passé est oublié, tous nos désirs, toutes nos pensées sont pour cette terre, qui renferme jusqu’ici les tombes de sept missionnaires seulement ; et, sur ces sept, cinq ont donné leur vie pour Jésus-Christ !

« Pour la première fois, la barque fend les flots au gré de nos désirs, et le 19 mars, dimanche des Rameaux, les chrétiens coréens auraient pu, s’ils avaient connu leur bonheur, accourir au-devant du pasteur qui leur était donné, et répéter la belle antienne du jour : Benedictus qui venit in nomine Domini : « béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. »

« L’ancre est jetée tout près de l’île assignée pour le lieu de rendez-vous à la barque coréenne qui doit nous introduire dans le pays. On arbore au haut du mât un pavillon blanc orné d’une grande croix bleue : c’est le signe de ralliement. Les barques coréennes qui passent et repassent devant nous en grand nombre, ne connaissent pas plus la signification de notre drapeau qu’on ne comprend dans ce pays pourquoi les drapeaux des différentes nations de l’Europe sont bariolés de couleurs diverses. Au reste, elles se tiennent à une distance assez grande ; car, sur le simple soupçon de relations avec des étrangers, même chinois, un Coréen est immédiatement mis à mort.

« La barque désirée n’arrivant pas, nous courons de mouillage en mouillage, nous visitons toutes les passes qui pourraient abriter une barque, mais sans succès. Six jours de vaines recherches fatiguaient déjà notre équipage, et nous-mêmes commencions à nous persuader de l’inutilité d’autres recherches, lorsque le vendredi saint, au moment où nous allions visiter un port que nous n’avions pas encore vu, on tire quelques coups de canon pour attirer l’attention de nos gens. À peine cette détonation mesquine, mais inaccoutumée, a-t-elle fait grouper les Coréens sur le rivage, que nous voyons arriver de la haute mer une barque avançant avec peine, malgré les efforts des rameurs. Elle