Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/420

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des planches, assez mal rapprochées, qu’un des matelots, une calebasse à la main, est sans cesse occupé à vider la cale. Maintenant, voulez-vous avoir des nouvelles de notre appartement ? Pressés dans un petit réduit qui n’a ni assez de hauteur pour que nous puissions nous tenir assis, ni assez de longueur pour qu’il soit possible de nous coucher, nous devrons tenir les jambes en crochet jusqu’au moment où nous débarquerons. De plus, on a soin de nous recouvrir de temps en temps d’une natte, sur laquelle on étend une épaisse couche de paille, et cela afin qu’en passant tout près des autres barques, ou en recevant la visite d’un mandarin, — car ces messieurs font de fréquentes apparitions sur les barques, — on ne puisse pas soupçonner qu’un être vivant est enseveli sous un tel tas de paille foulée.

« C’est dans cet équipement que nous devons parcourir les quarante-huit lieues qui nous séparent encore de la capitale, où nous allons descendre. Ce trajet serait l’affaire d’un jour pour un bon navire, et notre barque, en venant nous trouver, y a employé vingt jours. Cette fois-ci, plus heureuse, elle nous conduit en quatre jours dans le fleuve de la capitale, et à dix lieues de cette ville.

« Le moment de sortir de notre retraite approche ; chacun de nous se revêt d’un habit coréen tel que le portent les nobles lorsqu’ils sont en deuil. Les pièces les plus remarquables de ce costume, en toile grossière et un peu rousse, sont : un énorme chapeau en bambou tressé, dont la forme imite parfaitement les abat-jour en papier de nos lampes à modérateur ; mais si grand, que le haut du cône s’élevant au-dessus de la tête, le limbe inférieur vient entourer les épaules et la poitrine, et cache ainsi admirablement bien nos traits européens. On a, au surplus, une toile fixée à deux petits bâtons, de manière à former un éventail, que l’on peut placer devant la figure. Un indiscret chercherait-il à voir vos traits, vous vous empressez de lui opposer votre toile, et vous enveloppez la figure dans l’éventail. Personne n’est offusqué de ce soin que l’on prend pour se rendre invisible, car plus on se soustrait à tout regard et mieux on garde le deuil, qui est un devoir strict et sacré dans ce pays.

« Notre barque a jeté l’ancre au milieu du fleuve, dans un lieu assez solitaire ; la marée commence à nous être favorable ; il est cinq heures du soir. Affublés de nos précieux abat-jour, nous descendons dans un petit esquif que deux rameurs guideront sur le fleuve ; nous partons, et, grâce à la marée, nous avançons rapidement, tout en nous éloignant toujours le plus