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qui sont au coin de Ferdinand : « C’est, disent-ils, la figure d’une femme. Il a les cheveux courts, et partant nous n’en voulons pas. » Pour ne pas faire une si grande perte, je donnai une partie de ces piastres à un marchand chinois. Il s’obligea à nous rendre la même valeur en lingots, quand nous serions parvenus à Péking. Cet argent nous a été fidèlement rendu.

« Quand il fallut partir, on délibéra si l’on irait en Tartarie par mer ou par terre. J’aurais désiré voyager par mer ; mais un prêtre chinois, qui se mêlait de cette affaire, me dit qu’il n’avait aucune confiance aux matelots et au capitaine qui devaient me prendre à leur bord. Joseph, par une affection mal entendue, m’en détournait aussi : « Nous ferons naufrage, disait-il ; et quand l’évêque sera noyé, c’en sera fait de la Corée. » Il fut donc résolu que nous irions par terre.

« Nous nous mîmes en marche le 20 juillet : c’était précisément au commencement des grandes chaleurs. Elles sont insupportables dans le Kiang-nan pendant les mois de juillet et d’août ; il n’y a que les pauvres qui voyagent dans cette saison, on court risque quelquefois d’être asphyxié ; je doute qu’il fasse jamais plus chaud entre les tropiques. Dans les appartements où le soleil n’entre jamais, le bois des tables et des chaises est aussi chaud que si on l’avait approché du feu. Heureusement ces chaleurs ne durent pas ; après trois, quatre ou cinq jours, les orages surviennent ; les vents ou d’autres causes en diminuent l’intensité, mais elles reprennent bientôt après avec la même violence. Ces variations durent jusqu’en septembre exclusivement. Dans ces jours de crise, il m’a paru qu’il faisait aussi chaud à minuit qu’à midi à l’ombre : ce n’est que vers les deux ou trois heures après minuit que l’on commence à respirer. Les chrétiens, qui craignaient pour ma vie, me détournaient de me mettre en route par un temps si chaud. Je ne pus consentir à leur désir : plus tard, je n’aurais pas eu mon principal guide ; il devait aller à Macao, dans la huitième lune. Joseph réfutait ces objections à sa manière : « Quand on a passé plusieurs années sous le soleil de la ligne, et quand on est disposé à souffrir le martyre, on peut bien braver les chaleurs de la Chine. »

« Nous partîmes donc le 20 juillet. Mes trois guides étaient tous d’une timidité et d’une incapacité à peine concevables ; j’ai bien souffert pendant tout le temps que j’ai été sous leur tutelle. J’ai cru plusieurs fois que j’expirerais en route de fatigue et de misère ; le bon Dieu ne l’a pas permis. Nous voyageâmes quelques jours en barque, sur les petits canaux qui aboutissent au Kiang.