Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/477

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tement la haute fonction de préfet général de la police, et chacun s’attendait à le voir mettre lui-même son plan à exécution quand, coup sur coup, se succédèrent les rumeurs les plus alarmantes sur des batailles où auraient péri des centaines de milliers de Chinois. Enfin, au mois de février 1861, par le retour de l’ambassade annuelle, on apprit, à n’en plus pouvoir douter, l’incendie du palais impérial, la prise de Péking, la fuite de l’empereur et le traité imposé par les alliés.

Cet Empire du Milieu, qu’une tradition de dix siècles représentait aux Coréens comme invincible, avait été envahi et vaincu ; ses innombrables légions avaient été mises en pièces par quelques régiments européens ; le Fils du Ciel lui-même, dont la majesté, croyait-on, faisait trembler la terre, avait été obligé d’accorder aux barbares, maîtres de Péking, la liberté de religion et la liberté de commerce ; on avait entre les mains des copies du traité. Dire la terreur folle, la consternation profonde, qui se répandirent de la capitale dans tout le royaume, serait chose impossible. Toutes les affaires furent suspendues, les familles riches ou aisées s’enfuirent dans les montagnes, et l’un des premiers à se cacher fut l’auteur du mémoire susdit, qui abandonna ses fonctions pour mettre sa vie en sûreté. Les ministres, n’osant eux-mêmes quitter leurs postes, firent partir en toute hâte leurs femmes, leurs enfants et leurs trésors. Des mandarins de haut rang se recommandaient humblement à la protection des néophytes, et faisaient des démarches pour se procurer des livres de religion, des croix ou des médailles pour le jour du danger ; quelques-uns même portaient publiquement à leur ceinture ces signes de christianisme. Les satellites, dans leurs réunions, se disculpaient à qui mieux mieux de toute coopération aux poursuites dirigées contre les chrétiens, et aux tortures qu’on leur avait infligées. Le peuple tout entier semblait avoir perdu la tête.

Profondeur des desseins de Dieu ! Si à ce moment un navire français, une simple chaloupe, se fût présentée, exigeant pour la religion la même liberté qui venait d’être stipulée en Chine, on se fût empressé de tout accorder, heureux encore d’en être quitte à ce prix. Cette paix aurait été troublée peut-être comme en Chine et au Tong-king, par des émeutes populaires, par de sourdes intrigues, par des incendies d’églises ou des assassinats de missionnaires, mais elle aurait donné des années de tranquillité comparative, favorisé l’essor des œuvres chrétiennes et la conversion des gentils. Elle aurait fait une large brèche à ce mur de séparation qui existe encore entre la Corée et les peuples