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leur nation, sous des peines très-graves, de séjourner plus d’un ou deux jours près de Mérin-to. Nous avons su depuis qu’un accident arrivé à nos bons Coréens avait causé ce retard inattendu. Eux aussi, tout en réparant leur barque à la hâte, avaient eu beaucoup d’inquiétude. Leurs signes de croix pouvaient n’avoir été compris que comme un salut adressé par eux à des frères chrétiens, dont le drapeau avec la croix leur avait fait connaître la religion. Aussi, par précaution, placèrent-ils sur une haute montagne d’où l’on apercevait notre jonque, une sentinelle qui, à chaque instant, répétait ses signes de croix. L’intention était bonne, mais avec les plus fortes lunettes, il nous eût été impossible de voir cet homme et de comprendre ses gestes.

« Enfin, le jeudi saint 28, à neuf heures du soir, leur petite barque vint accoster notre jonque derrière les rochers de Mérin-to. Ils montèrent à bord et nous présentèrent une lettre de Mgr Berneux, signe auquel nous devions reconnaître nos véritables guides. Le chef était un bon chrétien de Séoul, frère des deux vierges martyres : Colombe et Agnès Kim. On nous transborda immédiatement, on hissa sans bruit les voiles et on mit le cap sur la capitale de la Corée. Cachés tous les quatre dans un compartiment haut d’un pied et demi sur cinq ou six de long et autant de large, nous revêtîmes des habits coréens ; mais nous ne pouvions pas métamorphoser aussi facilement les traits de nos visages, aussi passâmes-nous tout notre temps consignés dans cette cage, les uns sur les autres, sous un tas de paille et de nattes destiné à en masquer l’entrée. Cette précaution était nécessitée par le va-et-vient continuel des barques païennes qui nous accostaient à chaque instant. Nous entendions les pêcheurs qui montaient ces barques chanter avec accompagnement de musique. Mais quelle musique ! une calebasse ou une moitié de coco, placée dans un seau d’eau et sur laquelle on frappait à tour de bras. La poésie n’était guère plus riche, si nous en jugeons par le refrain qu’ils ne cessaient de répéter et dont nous avons su le sens plus tard. Le voici : « Nous prendrons beaucoup de poissons (bis), — c’est une bonne chose (bis). »

« Avant de passer la redoutable douane où fut arrêté jadis notre glorieux martyr André Kim, le capitaine ayant entassé sur notre trou toutes les nattes qu’il avait à bord, rassembla ses matelots, récita le chapelet avec eux, et confiant dans la toute-puissance protection de Marie, avança résolument. On nous héla, les douaniers vinrent à bord, mais Dieu nous gardait ; ils virent dans nos gens de simples pêcheurs incapables de faire de la con-