Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/54

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quand je voulais changer de position, de virer de bord de la tête aux pieds : en faisant ainsi, j’avais toujours le mur en face.

« Le 19, il fallut me remettre en route à jeun et tout trempé de sueur. Les chemins étaient inondés. Après une heure de marche, pendant que j’étais à sonder avec mon bâton l’endroit où il y avait moins d’eau, je me jetai dans un ravin. Je restai enseveli dans ce gouffre, jusqu’à ce qu’au moyen des plantes que je trouvais sous la main, je me hissai abord : dès lors je fus trempé tout autrement que de ma sueur. Je descendis dans un autre fossé moins profond, pour laver ma courte veste ; car je n’avais rien pour changer. Dans un quart d’heure le soleil sécha tout. Je m’attendais à un redoublement terrible de fièvre ; mais le contraire arriva, l’accès fut moindre que les autres jours. En France, cela eût suffi pour me donner la mort ; ici je me trouvai mieux.

« Le 23, tout le monde tomba malade ; il fallut encore faire séjour.

« Le 24, Joseph m’apporta une grappe de raisin aussi acide que du verjus, et un pot de vin chinois qui ne valait certainement pas de l’eau : je pense qu’il voulut me faire célébrer splendidement la fête de mon saint patron. Depuis mon départ de France, je n’avais jamais eu une grappe de raisin en mon pouvoir ; je la mangeai avec un morceau de pâte mal cuite. Ce repas de mandarin me valut une forte indisposition.

« Ce jour on renvoya une partie de nos gens, et bientôt après on congédia le reste. Ils auraient bien voulu me saluer avant de se retirer ; mais Joseph leur fit entendre que j’étais couché, comme à mon ordinaire, et incapable de recevoir leurs compliments. Il ne paraît pas que ces hommes simples et rustiques se soient jamais doutés de rien : ils croyaient que j’étais sourd, presque aveugle et même un peu fou. On leur laissait croire ce qu’ils voulaient, pourvu qu’il ne leur prît point envie de croire que j’étais Européen. Ils disaient quelquefois à mon élève : « Quel homme est celui-là ? il n’entend rien, il ne parle jamais, il ne sait point marcher, il s’assied partout, comme quelqu’un qui n’est plus dans son sens. Vraiment vous avez là un grand embarras. — Vous avez bien raison, répondait l’autre ; il a voulu venir avec nous visiter nos amis communs ; il faut bien, bon gré, mal gré, que nous ayons soin de lui ; si nous avions pu prévoir combien il nous est à charge, nous n’aurions point consenti à le prendre. » Les uns et les autres disaient vrai, mais dans un autre sens que ces bonnes gens l’entendaient.