Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/559

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qui conduisait à Keu-to-ri, il les congédia tous, et partit seul. Arrivé au village, il entra dans une maison chrétienne, en attendant que Mgr Daveluy le fît appeler. Le matin même, celui-ci en entendant les satellites réclamer le P. O. dont avait parlé M. Huin, lui avait envoyé une lettre pour lui dire de se livrer. Mais les porteurs de la lettre ayant pris un autre chemin, ne l’avaient pas rencontré en route. À leur retour, ils trouvèrent les trois missionnaires réunis dans la chambre qui leur servait de prison. Satisfaits de leur expédition, et de la manière dont les Européens s’étaient rendus, les satellites se montrèrent pleins d’égards pour eux. Ils ne les lièrent point, ne commirent aucun dégât dans le village, et, sur leur demande, délièrent et mirent en liberté les chrétiens arrêtés. C’étaient, outre le serviteur de M. Huin, le catéchiste Nicolas Song, le séminariste Philippe Pak, et Luc Hoang, serviteur de Mgr Daveluy. Mais ce dernier refusa de partir, et déclara qu’il suivrait celui qui était à la fois son maître et son père.

Luc Hoang, d’une famille païenne assez riche, avait été élevé avec le plus grand soin par son père, qui comptait sur lui pour assurer la fortune de sa maison. Lui-même racontait qu’il n’aurait pas alors échangé ses espérances pour un mandarinat ordinaire. Il fit mieux. Vers l’âge de vingt ans, sur les exhortations de son professeur de chinois, il se convertit à la religion chrétienne, et gagna quelques-unes des personnes de sa famille. Mais son père, déçu dans ses calculs, effrayé de la ruine qui le menaçait, l’accabla d’injures et de mauvais traitements. Luc les supporta avec une patience admirable, puis, voyant qu’il ne pouvait ouvrir la bouche sans provoquer les blasphèmes de son père, il résolut de faire violence au ciel, et de ne plus prononcer une seule parole jusqu’à ce qu’il eût obtenu sa conversion. Pendant deux ans, il resta muet. On le crut malade ; on lui administra des remèdes de toute nature qui plusieurs fois faillirent le tuer. Mais il tint ferme, et Dieu lui accorda enfin la grâce qu’il demandait. Son père se fit chrétien, et sa conversion amena celle de toute la famille. C’était après la persécution de 1839. À l’arrivée de Mgr Ferréol, Luc s’attacha tout entier au service de la mission. Mgr Ferréol songea à le faire prêtre, car sa femme consentait à se séparer de lui pour vivre dans la continence ; mais comme il n’y a point en Corée de monastère de femmes régulièrement établi, le Saint-Siège ne jugea pas à propos d’accorder la permission demandée. Le père de Luc étant mort, son frère aîné eut bientôt, par une gestion maladroite, dilapidé la fortune de la famille qui fut réduite à la misère. Luc donna d’abord aux siens tout ce qu’il possédait en