Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/57

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quel est le vôtre ? » Puis il ajouta : « Si Votre Excellence tente de passer en Tartarie, elle sera certainement prise, mise à mort, et avec elle les évêques du Fokien et de Nanking, tous les chrétiens de ces missions, et tous les mandarins des provinces par lesquelles nous avons passé ; de là la persécution s’étendra dans le Chang-si, dans le Su-tchuen, etc. » Tout le monde applaudit à l’orateur ; on était persuadé que le massacre allait devenir général, par l’imprudence d’un seul homme. Joseph seul était d’un avis contraire : « On peut, disait-il, passer en Tartarie en suivant la route que j’ai déjà tenue moi-même. » Son avis fut très-mal reçu : « Tu es un téméraire, lui disait-on ; tu introduis des Européens dans le sein de l’empire et jusqu’aux portes de Péking, au risque de causer une persécution générale et de faire massacrer tous les chrétiens ; si tu persistes à donner de pareils conseils, nous allons nous retirer ; que pense Votre Excellence ? » Je jugeai qu’il n’était pas prudent de les contredire. Je leur répondis seulement : « Je vous dirai ce que je pense quand j’aurai parlé à mon élève. » Aussitôt on leva la séance. « Eh bien ! dis-je à Joseph quand les autres furent partis, que pensez-vous de notre situation ? que faut-il faire ? — Je pense qu’il faut avancer. — Je pense de même. La Providence nous a conduits jusqu’ici, elle nous a fait éviter tous les dangers ; c’est une garantie pour l’avenir, pourvu que nous prenions toutes les précautions que la prudence peut exiger. Je serais digne de blâme, et le Souverain Pontife aurait lieu de se plaindre de moi, si, pour une terreur panique, je rétrogradais ; je suis résolu à mettre tout en usage pour parvenir au terme de ma carrière. Je ne reviendrai sur mes pas que lorsqu’il ne sera plus physiquement possible d’avancer, ou lorsqu’il n’y aura plus personne qui veuille m’accompagner. » On communiqua ma réponse au conseil ; elle ne fut point agréée, tout le monde persista dans le premier sentiment. « Puisqu’il n’y a point d’autre moyen, ajoutai-je, il faut aller à Péking chercher un guide ; en attendant, je resterai caché dans la maison de quelque chrétien. » Cet avis fut adopté.

« Le 3, à minuit, tout le monde disparut ; les uns allèrent à Péking, les autres revinrent à Nanking, et moi je restai enfermé nuit et jour dans une chambre. Je ne voyais que deux personnes qui m’apportaient à manger.

« Le 22, les envoyés arrivèrent de Péking ; ils m’apportèrent un peu d’argent de la part de Mgr de Nanking ; cet argent servit à payer mes dettes, et fournit aux frais des voyages que je fus