Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/59

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notre route, sans regarder en arrière : je fus un peu étonné qu’on eût pris tant de mesures pour passer une douane qui n’avait pas l’air d’être bien difficile. Jean voua trois messes, il me pria de les acquitter.

« Le 8, je fus témoin d’une scène singulière, et qui ne peut arriver qu’en Chine. Nous rencontrâmes quelques forçats enchaînés, que l’on menait en exil. Dès qu’ils nous aperçurent, les archers qui les conduisaient s’assirent sur un tertre ; un seul tenait le bout de la chaîne. Aussitôt il s’élève un différent entre ces malfaiteurs et mes gens : « Nous voulons de l’argent, disaient les forçais. — Vous n’en aurez pas, répondaient mes guides. — Eh bien ! nous allons nous faire écraser sous les roues du chariot (en effet, ils se couchèrent dans le chemin, en travers des roues). — Retirez-vous. — Nous ne voulons pas ; nous aurons de l’argent, ou nous mourrons ici. » Des paroles on en vint aux coups. Mes gens, en les traînant par la chaîne loin du chariot sous lequel ils étaient couchés, attrapèrent quelques blessures. Mon guide fit un dernier effort, et resta maître du champ de bataille. Par malheur, ces galériens amenaient avec eux des femmes ; elles prirent leur place, et recommencèrent le combat. Dans ce pays-ci, mettre la main sur une femme, même pour une juste défense, est une affaire d’état ; il fallut en venir aux prières et aux compliments. Mon interprète, qui était fort poli, les harangua ; mais rien ne put les ébranler. Elles déclarèrent qu’elles n’abandonneraient le poste qu’après avoir reçu de l’argent (elles s’étaient placées sous les pieds des chevaux) ; il fallut donc en venir à une transaction. Nous leur donnâmes six francs, moyennant quoi nous eûmes le passage libre. Nous aurions pu, il est vrai, avoir recours au mandarin ; mais c’eût été à moi, comme principal personnage de la caravane, de poursuivre la plainte : c’était tomber dans un nouveau danger. Les soldats eurent l’air d’être étrangers à ce singulier combat ; au lieu de s’opposer à l’audace de ces malfaiteurs, dont ils étaient responsables, ils restèrent tranquilles spectateurs : ils devaient avoir leur part du gâteau.

« Nous terminâmes notre course sans aucun fâcheux accident. Ce voyage, comparé au premier, me parut une promenade de plaisir ; dans ces montagnes nous avions de quoi manger, tandis que nous mourions de faim dans la plaine ; et de plus, je n’étais pas obligé de marcher : cependant tout n’était pas beau. J’étais fort à l’étroit dans mon chariot ; un gros Chinois s’asseyait, par