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L. H. DANCOURT

fait commettre, citez en un, & je me rends. Examinons un peu, deux nouveaux paradoxes que vôtre amour pour le vin vous a dicté.

Le ſage eſt ſobre par tempérance, le fourbe l’eſt par fauſſeté : je dis moi, que le ſage eſt ſobre & tempérant, parce qu’il eſt ſage, & qu’un fourbe n’eſt ni ſobre ni tempérant par fauſſeté, mais par prudence & par tempérance naturelle, qualité louable qui n’exclut pas la fourberie.

Quelle preuve avez vous qu’un homme méchant dans la vin ſoit néceſſairement, également mauvais à jeun ? L’expérience prouve le contraire. Combien de gens naturellement polis bienfaiſans & doux deviennent brutaux cauſtiques & durs quand ils ont trop bû d’un coup ? Tel qui auroit craint de ſe faire une affaire parce qu’il eſt prudent ou timide naturellement, devient hardi & querelleur, quand il a la tête échauffée par le vin, qui le tire de ſon aſſiette ordinaire. Pour vous convaincre de cette vérité, jettez les yeux ſur nos ſoldats. Tels qui fremiroient à la vûe d’un retranchement ou d’une paliſſade, attaquent l’un & l’autre avec fureur & ſuccès, quand leur courage eſt animé par un verre de brandevin. En ſuppoſant d’ailleurs que le vin fasſe éclater les mauvais deſſeins qu’un méchant couvoit à jeun : il faut donc regarder comme un malheur qu’il ſe ſoit enivré car il auroit peut-être toujours couvé dans ſon ſang froid un projet funeſte dont l’exécution lui auroit paru dangereuſe, tant qu’elle n’auroit pas pû