Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/25

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igence, il doit augmenter la liste des grands hommes malheureux. C’est ainsi qu’il s’en exprime lui-même, en pleurant la perte de ses biens et de son indépendance. « Partout où se parle cette langue toscane, on m’a vu errer et mendier ; j’ai mangé le pain d’autrui et savouré son amertume. Navire sans gouvernail et sans voiles, poussé de rivage en rivage par le souffle glacé de la misère, les peuples m’attendaient à mon passage, sur un peu de bruit qui m’avait précédé, et me voyaient autre qu’ils n’auraient osé le croire : je leur montrais les blessures que me fit la fortune, qui déshonorent celui que les reçoit. »

À une sensibilité profonde et à la plus haute fierté, Dante joignait encore cette ambition des républiques, si différente de l’ambition des monarchies. Quand son sénat, qui ne faisait pas tout ce qu’il en eût désiré, le nomma à l’ambassade de Rome, ce poëte, considérant l’état de crise où il laissait la république, et le péril de confier cette légation à un autre, dit ce mot devenu célèbre : S’IO VO, CHI STA, E S’IO STO, CHI VA : Si je pars, qui reste, et si je reste, qui part ? Quoique logé chez le prince de Ravenne, il ne laissa pas de raconter dans son Enfer l’aventure délicate et désastreuse arrivée à la fille de ce prince ; et lorsque après son exil il se fut réfugié