Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul. Voilà une des causes de son obscurité. D’ailleurs il n’est point de poëte qui tende plus de piéges à son traducteur ; c’est presque toujours des bizarreries, des énigmes ou des horreurs qu’il lui propose : il entasse les comparaisons les plus dégoûtantes, les allusions, les termes de l’école et les expressions les plus basses : rien ne lui paraît méprisable, et la langue française, chaste et timorée, s’effarouche à chaque phrase. Le traducteur a sans cesse à lutter contre un style affamé de poésie, qui est riche et point délicat, et qui, dans cinq ou six tirades, épuise ses ressources et lui dessèche ses palettes. Quel parti donc prendre ? Celui de ménager ses couleurs ; car il s’agit d’en fournir aux dessins les plus fiers qui aient été tracés de main d’homme ; et lorsqu’on est pauvre et délicat, il convient d’être sobre. Il faut surtout varier ses inversions : Dante dessine quelquefois l’attitude de ses personnages par la coupe de ses phrases ; il a des brusqueries de style qui produisent de grands effets ; et souvent dans la peinture de ses supplices il emploie une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il