Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/66

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Je regardai, et je vis un drapeau rapidement emporté dans une course sans repos et sans terme : il était suivi d’une foule si innombrable, que je ne pouvais croire que la mort eût moissonné autant de victimes. Parmi celles que je reconnus, je considérai l’ombre solitaire, qui se refusa lâchement au grand fardeau du Pontificat [4] ; et je compris alors que j’étais au séjour des âmes tièdes, également réprouvées de Dieu et de ses ennemis. Ces malheureux, qui n’ont point su goûter la vie, étaient nus, et toujours assaillis d’insectes et de mouches cruelles. Leurs larmes et le sang qui coulait de leurs blessures allaient abreuver les vers qui fourmillaient à leurs pieds [5].

Portant ensuite mes regards plus avant, j’aperçus un concours de peuples sur les bords d’un grand fleuve [6].

— Apprenez-moi, dis-je à mon guide, quels sont ceux qu’un reste de lueur me fait découvrir, et quel est cet attrait puissant qui les appelle au delà du fleuve.

— Tu le sauras, me répondit-il, quand tu seras à ce triste rivage.

Frappé de crainte et de respect, je marchais en silence ; et voilà qu’un vieillard [7] blanchi par les années venait à nous dans une barque et criait : « Malheur à vous, âmes perdues ! n’espérez plus de voir les cieux : je viens pour vous porter à l’autre rive, dans ces ténèbres,