Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/116

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— Parjure, dit le premier, souviens-toi du cheval de bois, et rougis, si tu peux, d’un crime si connu.

— Rougis plutôt, ajouta l’autre, avec la soif qui te sèche la langue, et les eaux de ton ventre, qui s’élève en montagne et te borne la vue.

— Maudite soit ta bouche ! cria le monnayeur, si j’ai la soif, j’en porte le remède, et les eaux des fontaines tariraient près de toi.

Tout entier à leurs paroles, je les écoutais l’un et l’autre, quand mon guide, rougissant de colère, me dit :

— Vois à quel point tu viens de m’irriter !

Et moi, qui reconnus tout son courroux à la sévérité de sa voix, je me tournai vers lui plein d’une telle confusion que je ne puis encore en supporter le souvenir. J’étais devant lui, tel qu’un homme qui, se voyant dans un songe menacé de quelque péril, voudrait bien qu’en effet ce ne fût qu’un songe : j’étais, dis-je, sans proférer une parole, et je désirais d’obtenir un pardon qu’à mon insu j’obtenais par mon silence.

— Moins de regrets, me dit le sage, laveraient plus d’erreurs : reviens de ta confusion ; mais souviens-toi, si jamais la fortune te réserve à de pareils débats, que mon ombre t’environne toujours ; et qu’en les honorant de ta présence, tu forces ta raison à rougir d’elle-même [8].