Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/121

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— Maître, dis-je aussitôt, quelle est cette contrée ?

— Ta vue et ta pensée, me répondit-il, s’égarent dans les ténèbres et dans l’éloignement ; avance, et tu verras dans peu combien la distance a trompé tes sens.

Me prenant ensuite par la main avec tendresse :

— Apprends, me disait-il, pour me préparer à la surprise, que ce ne sont pas là des tours, mais des géants enfoncés dans le puits de l’abîme, qu’ils surmontent de la ceinture en haut.

Ainsi que l’air, moins chargé de vapeurs, transmet aux yeux des images plus pures, de même, en approchant de plus près, la nuit m’offrait des tableaux moins confus : l’illusion m’abandonnait et l’effroi me gagnait.

Semblable en effet à Montereggione dont la cime se couronne de tours [3], le puits infernal me présentait debout autour de lui ses énormes géants, dont les fronts sourcilleux bravent encore les foudres de Jupiter : et déjà mon œil distinguait leurs traits difformes, leurs vastes poitrines et leurs bras qui s’allongent sans mesure à leurs côtés.

Bénie soit la nature qui, bornant sa fécondité, n’engendre plus ces excroissances qui fatiguaient la terre ! Et si, de peur qu’on ne l’accuse d’impuissance, elle produit encore les baleines et les éléphants, l’homme du