Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/43

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Quand les monstres se furent un peu lassés, mon guide voulut parler à cet infortuné qui regardait avec effroi toutes ses blessures.

— Quel est donc, lui dit-il, cet homme d’Italie que tu viens de quitter pour ton malheur ?

— C’est, répliqua-t-il d’une voix faible, le juge de Gallure [5], frère Gomite, ce vase d’iniquité, qui, tenant dans ses mains les ennemis de son maître, les renvoya si contents de lui ; ils ont eu, dit-il, la liberté, et moi leur or. C’est ainsi que sa main vénale trafiqua toujours des dignités et des grâces. Sans cesse le sénéchal de Logodor [6] est avec lui, et la Sardaigne est l’éternel objet de leurs plus doux entretiens. Ô moi, chétif ! j’allais en dire davantage ; mais ne le voyez-vous pas grincer des dents, celui qui s’apprête à me déchirer ?

Le chef des autres en vit un prêt à frapper, qui tordait sa prunelle effroyable, et lui dit en le heurtant :

— Laisse-nous donc, mauvais génie.

Ainsi l’ombre tremblante reprit son discours :

— Si votre désir est de voir et d’entendre d’autres coupables, j’en ferai paraître de Toscane et de Lombardie ; mais la présence des esprits les retiendrait toujours : qu’on me laisse donc seul sur le roc, et d’un sifflement qui m’est connu, j’en vais attirer sept après moi ; car tel est notre usage quand le moment de respirer est venu.