bien l’on prie [1], afin que je sois purifié de mes graves offenses. De là je fus, mais les profondes blessures par où sortit le sang dans lequel l’âme siège [2], me furent faites chez les fils d’Antenor [3], là où je croyais être le plus en sûreté : me le fit faire un des Este, beaucoup plus irrité contre moi que ne le voulait le droit, mais si j’avais fui vers Mira [4] lorsque je fus atteint à Oriaco, encore serais-je là où on respire. Je courus au marais, et les joncs et le bourbier m’embarrassèrent tellement que je tombai, là je vis de mes veines faire à terre un lac. »
Puis un autre dit : « Ah ! si s’accomplit le désir qui t’attire vers le haut mont [5], par pitié aide le mien. Je fus de Montefeltro ; je suis Buonconte [6] : ni Giovanna, ni aucun autre n’a souci de moi ; par quoi je vais parmi ceux-ci le front bas. » Et moi à lui : — Quelle force, ou quel hasard t’a égaré si loin de Campaldino, que jamais on ne connut ta sépulture ? « Oh ! répondit-il, au pied de Casentino coule une eau appelée l’Archiano, qui, au dessus de l’Ermitage [7], a sa source dans l’Apennin. Là ou elle perd son nom [8] j’arrivai, la gorge percée, fuyant à pied et ensanglantant la terre ; là je perdis la vue, et le nom de Marie fut ma dernière
- ↑ Jacques del Cassero, de Fano, qui parle ici, s’était fait un ennemi implacable d’Azzon III d’Esté, marquis de Ferrare ; Cassero, en se rendant à Milan, où l’avait appelé Maffeo Visconti pour y exercer la charge de podestat, fut assailli et tué à Oriago, village entre Venise et Padoue, par des sicaires d’Azzon. Il s’était, en fuyant, embarrassé dans les boues et les joncs d’un marais où il avait cherché un refuge.
- ↑ C’était une opinion ancienne que l’âme avait son siège dans le sang.
- ↑ Sur le territoire de Padoue fondée par Antenor.
- ↑ Lieu situé dans Padouan, près de la Brenta.
- ↑ « Si s’accomplit, » c’est-à-dire, « que puisse s’accomplir ! » On a déjà vu dans le premier Cantique plusieurs exemples de cette formule appréciative, imitée des Latins.
- ↑ Il était fils du comte Guido de Montefeltro, et marié à une femme nommée Giovanna. En combattant contre les Guelfes, à la déroute de Campaldino, dans le Casentin, il fut blessé, et l’on n’a jamais su ce qu’il devint. Ainsi ce que raconte Dante est une pure fiction.
- ↑ Couvent des Camaldules.
- ↑ L’Archiano perd son nom en se jetant dans l’Arno.