Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/316

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comme l’éclair. D’un bras à l’autre et du sommet au pied, se mouvaient des lumières, scintillant fortement lorsqu’elles se joignaient et se croisaient : ainsi se voient ici, droites et torses, rapides et lentes, longues et courtes, changeantes à la vue, les parcelles des corps se mouvoir dans le rayon duquel parfois se borde l’ombre que pour leur défense se font les hommes avec art et industrie [1].

Et comme la gigue [2] et la harpe, avec plusieurs cordes harmonieusement tendues, rendent un son doux à tel qui ne distingue pas les notes, ainsi les lumières qui là m’apparurent, se formait, sur la croix, une mélodie qui me ravissait sans entendre l’hymne.

Je reconnus qu’elle contenait de hautes louanges, parce qu’à moi venait : Tu ressuscites et vaincs [3], comme à quelqu’un qui ouït et n’entend pas. De cela tant je m’enamourais, que jusque-là nulle chose ne me lia de si doux liens. Peut-être ma parole paraîtra trop hardie, mettant après [4] le plaisir des beaux yeux dont la vue apaise mon désir : mais qui pense que, plus ils s’élèvent, plus les sceaux vivants [5] de toute beauté sont féconds, et que je ne m’étais point retourné vers ceux-là [6], peut m’excuser de ce dont je m’accuse pour m’excuser, et voir qu’est vrai ce que je dis, le plaisir saint n’étant point ici pleinement épanoui, parce qu’en montant il devient plus pur [7].

  1. L’ombre formée par les contrevents, les volets, etc., avec lesquels les hommes se défendent contre une très vive lumière, offre souvent sur ses bords un rayon de soleil, où se jouent une multitude de petits corps que l’œil distingue à peine.
  2. Ancien instrument de musique.
  3. Ces paroles, adressées au Christ, célèbrent son triomphe sur la mort.
  4. « Mettant après le plaisir que je ressentis alors, celui que me causent tes beaux yeux, » etc.
  5. Les cieux, où résident les vertus informatrices.
  6. Vers les yeux de Béatrice.
  7. Le sens paraît être que, dans le Ciel où Dante était alors, la Beauté de Béatrice n’apparaissait pas dans tout son éclat, parce qu’elle allait croissant à mesure que Béatrice montait de sphère en sphère, et qu’ainsi le plaisir saint qu’il éprouvait à la contempler n’avait pas encore atteint son dernier terme. — Au reste, les commentateurs varient dans l’interprétation de ce passage obscur.