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INTRODUCTION.

comme les damnés, apparaissent avec une puissance de réalité égale à celle des corps véritables, et ce réalisme donne à ses tableaux un relief, à sa poésie une vigueur d’effet qu’on ne retrouve au même degré dans aucun poëte. Il croit à ce qu’il peint comme on croit à ce qu’on voit, à ce qu’on touche, et le lecteur partage sa croyance, tant cette forte imagination subjugue, entraîne, fascine : ut magus.

Au dedans de la terre s’ouvre un vaste cône, dont les affreuses spirales, demeures des réprouvés, viennent aboutir au centre où la divine Justice retient, enfoncé jusqu’à la poitrine dans la glace, le chef des anges rebelles, l’Empereur du Royaume douloureux. Tel est l’enfer que Dante décrit dans sa première cantique, suivant une donnée généralement admise au Moyen âge. Milton, en un sujet qui l’obligeait à s’en écarter, place le sien, hors de la création accomplie déjà, au sein du chaos, de l’abîme ténébreux. Il ne contient encore que les anges tombés, puisque son drame commence avant la chute de l’homme. Ses démons, d’une nature équivoque, intermédiaire, sans formes déterminées, ne représentent guère que les vices abstraits, excepté le vice spirituel, l’Orgueil, dont Satan est le type suprême. Cette conception, étroite dans ses détails, et monotone dans son ensemble[1], n’a rien de commun avec celle de Dante. Mais le

  1. Dans une note au crayon, placée en marge du texte de l’Introduction, Lamennais fait remarquer que « les démons de Milton se bornent à discourir. »