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L’ENFER

une voix gémissante, il reprit : « Eh bien ! que me veux-tu donc ? Si tu as désiré de savoir qui je suis, tellement que tu n’aies pas craint de descendre dans la vallée, apprends que je fus revêtu du manteau éclatant. Je fus un des fils de l’Ourse superbe ; et, pour élever les Oursins cupides, j’engloutis à la fois les richesses de la terre dans mes coffres, et mon âme dans les enfers. Au-dessous de ma tête, sont plongés plus profondément, dans les fentes de la pierre, ceux qui ont été simoniaques avant moi. Je serai précipité à mon tour, lorsque viendra celui dont j’ai cru deviner l’arrivée, quand je me suis hâté de t’adresser ma subite question. Mais ces pieds renversés auront été dévorés par les flammes plus de temps que ceux de l’être vénal qui doit me remplacer.

Après lui, viendra, du couchant, un pasteur sans loi, et plus coupable, qui nous recouvrira tous deux. Ce sera un nouveau Jason, semblable à celui dont parle le livre des Machabées. Le souverain qui gouverne la France protégera la laideur des actions de celui que j’attends, comme le roi auquel obéissait Jason se plut à le protéger. »

Peut-être me livrai-je ici à une colère folle, mais je répondis en ces termes : « Dis-moi, quel trésor Notre-Seigneur demanda-t-il à saint Pierre avant de lui confier les clefs de son royaume ? Il ne lui dit rien autre, sinon : « Suis-moi. » Pierre et ses compagnons ne dépouillèrent pas de son or et de son argent le disciple Mathias, quand il fut choisi par le sort pour succéder au Traître. Tu as été justement puni ; garde avec toi les richesses que tu as amassées par de vils moyens, et qui t’encouragèrent à braver la puissance de Charles.

Si je n’étais arrêté par le respect que m’inspirent les augustes clefs que tu as tenues sur la terre de félicité, je t’adresserais encore des paroles plus indignées. Votre avarice est un scandale pour l’univers : vous foulez aux pieds le bon, vous élevez le méchant. Pasteurs, vous fûtes révélés à l’Évangéliste, quand il vit celle qui est assise sur les eaux se prostituer aux rois ; celle-là même qui naquit avec sept têtes, et qui, dans les dix cornes, trouva la preuve de sa force, tant que la vertu plut à son époux.

Vous vous êtes créé des dieux d’or et d’argent. Quelle autre différence y a-t-il entre vous et l’idolâtre ? Vous adorez cent divinités, tandis qu’il n’en adore qu’une seule. Ah ! Constantin, que de maux apporta, non ta conversion, mais la dot que reçut de toi le premier pontife qui fut riche et puissant ! »