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CHANT TRENTE ET UNIÈME

doux, cria : « Raphe lmai amec hza bialmi. — Âme insensée, lui dit mon guide, cherche un vain amusement dans le son de ce cor ; exhale ainsi ta fureur, quand la colère ou une autre passion vient te dominer ! Âme perverse, si tu ignores où ce cor est suspendu, cherche le long des muscles de ton cou, tu trouveras la courroie qui soutient ce fatal instrument : remarque donc qu’il décrit un cercle autour de ton énorme poitrine. » Mon maître me dit ensuite : « Voilà Nembrot, il s’accuse lui-même ; c’est depuis qu’il manifesta son arrogante inexpérience, qu’on ne parle plus une seule et même langue dans le monde. Laissons-le, ne perdons pas nos paroles : le langage des hommes lui est aussi inconnu que le sien l’est à toute la terre. »

Nous fîmes un détour à gauche, et, à la portée du trait, nous trouvâmes un géant plus grand et plus redoutable. Je ne saurais dire quelle main invincible a pu garotter un tel monstre ; mais une chaîne qui assujettissait sur sa poitrine son bras gauche, et sur ses reins son bras droit, le tenait lié depuis le cou jusqu’à cette moitié du corps que l’on pouvait apercevoir, et se repliait cinq fois autour de ses flancs. « Ce superbe géant, dit mon guide, voulut éprouver sa puissance contre celle du grand Jupiter, et voilà quelle fut sa récompense : il s’appelle Éphialte ; il s’abandonnait aux accès de son audace téméraire, quand les géants intimidèrent les dieux ; il ne peut plus mouvoir ces bras qui lui servirent à entasser les montagnes. — Je voudrais, repris-je, voir, s’il se peut, Briarée, ce géant que l’on dit d’une hauteur si démesurée. » Mon guide répondit : « Tu verras Antée près d’ici ; il est libre, et parle intelligiblement : c’est lui qui nous déposera au fond du dernier abîme. L’autre que tu demandes est plus éloigné, mais il est tel qu’Éphialte, et enchaîné comme lui : il a seulement un aspect plus féroce. » À ces mots Éphialte secoua ses chaînes : jamais un tremblement de terre, qui ébranle une tour énorme, ne fit entendre un bruit aussi terrible. Alors je craignis plus que jamais la mort, et l’effroi allait m’anéantir, si je ne me fusse souvenu que le géant avait les mains garottées.

Nous continuâmes de marcher, et nous vîmes Antée dont le corps, sans comprendre la tête, dépassait le gouffre de cinq aunes. Mon maître parla ainsi : « Ô toi qui fis un butin de mille lions dans la vallée fortunée où Scipion se couvrit de gloire et mit en fuite Annibal et les siens, il paraît qu’on croit que tu aurais donné la victoire aux fils de la terre, si tu avais accompagné tes frères à la haute guerre contre les dieux : ne dédaigne pas de t’abaisser et de nous déposer là où le Cocyte est couvert de glaces ! Ne