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CHANT PREMIER

Daigne agréer son arrivée : il va cherchant la liberté, ce bien si précieux, ainsi que le sait celui qui lui sacrifie sa vie. Tu m’entends, toi qui pour ce bien ne trouvas pas la mort si amère à Utique où tu laissas tes dépouilles, qui seront si brillantes au grand jour du jugement. On n’a pas révoqué pour nous les édits éternels. Mon compagnon est vivant : moi, je n’ai pas craint les replis funestes de la queue de Minos ; j’habite le cercle où l’on admire les chastes yeux de ta chère Marcia, qui semble encore, ô génie sublime ! te conjurer de la reprendre pour épouse. Au nom de son amour, accorde-nous donc ton appui, laisse-nous pénétrer dans les sept divisions commises à ta garde : j’en rendrai grâce à Marcia, si tu permets que je te rappelle à son souvenir. — Marcia, repartit Caton, fut si chère à mes yeux qu’elle obtint de moi toutes les grâces qu’elle me demanda, tant que je fus sur la terre. Maintenant qu’elle habite au delà du fleuve inexorable, ses prières ne peuvent plus m’émouvoir : j’obéis à la loi qui me fut imposée quand je quittai les Limbes. Mais si une femme céleste t’anime et t’encourage, comme tu le dis, il est inutile de recourir à ce ton de flatterie ; il suffit de me parler au nom de la femme qui t’envoie : avance, fais à ton compagnon une ceinture de joncs dépouillés de leurs feuilles ; lave sa figure ; qu’elle ne porte plus aucune trace des vapeurs infernales : il ne conviendrait pas qu’il parût couvert de ces taches impures devant le premier des ministres que tu vas voir, et qui est un des habitants du Paradis. Là-bas, là-bas, dans cet îlot, à l’endroit où se brisent les flots de la mer, naissent des joncs entourés d’un limon épais : il ne peut y croître aucune autre plante ni aucun de ces arbustes ligneux qui ne plient pas sous les efforts de l’eau. Cependant, ne revenez pas de ce côté : le sol qui s’élève vous montrera le point où vous devez gravir la montagne par un sentier moins pénible. »

À ces mots le vieillard disparut. Je me levai sans parler, et je me tournai vers mon guide en fixant sur lui mes regards. Il commença ainsi : « Mon fils, suis mes pas ; la plaine s’abaisse sensiblement de ce côté. »

Déjà l’aube chassait l’heure du matin qui fuyait devant elle, et de loin j’aperçus le mouvement onduleux de la mer. Nous avancions dans la plaine déserte, comme des hommes qui retournent à la bonne voie qu’ils ont perdue, et qui semblent marcher en vain jusqu’à ce qu’ils l’aient retrouvée. Quand nous parvînmes à un point où la rosée combat l’action du soleil à la faveur de l’ombre, mon guide posa doucement ses deux mains sur l’herbette. alors, aussitôt que j’eus deviné son dessein, reconnaissant et attendri,