Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/252

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avant que la nuit arrive ; nous ne pourrions plus continuer notre chemin qu’avec le retour de la lumière. »

Alors je suivis mon maître, et nous arrivâmes aux degrés. Aussitôt que je fus sur la première marche, j’entendis comme un mouvement d’ailes qui rafraîchit ma figure ; on disait en même temps : Heureux les pacifiques exempts de colère criminelle. Déjà l’on n’apercevait plus dans l’air que ces derniers rayons qui sont immédiatement suivis de ténèbres, et les étoiles se développaient de toutes parts. Je disais en moi-même : Ô mon courage, pourquoi commences-tu à t’abattre ? Je sentais mes genoux défaillir et demander grâce.

Nous avions atteint le point où se terminent les degrés, et nous étions arrêtés comme la nef amarrée à la plage. Je tâchai d’écouter si je n’entendais pas quelque bruit dans ce nouveau séjour ; ensuite je me retournai vers mon maître et je dis : « Ô mon père bienfaisant, quelle est la faute que l’on purifie dans ce cercle ? Si nos pieds se reposent, que ton entretien ne prenne pas de trêve ! »

Mon maître répondit : « Ici on punit la paresse qui a négligé ses devoirs ; ici l’on châtie le rameur qui a été trop lent. Si tu veux me mieux comprendre, écoute-moi, tu retireras quelque avantage de notre retard. Ni créateur, ni créature, tu le sais, ô mon fils, n’ont existé sans amour. Cet amour est ou un amour naturel, ou un amour qui naît de leur choix. L’amour naturel est toujours exempt d’erreur ; mais l’autre peut errer en choisissant un objet indigne, ou en aimant trop un bien périssable, ou en n’aimant pas assez un bien infini : tant que cet amour est sagement dirigé vers les biens principaux, et garde une juste mesure dans son affection pour les biens inférieurs, il n’en peut naître alors aucun plaisir coupable ; mais aussi quand la créature s’attache avec moins de zèle aux biens célestes, ou avec trop de passion à ceux qui méritent moins d’estime, alors elle agit contre son propre créateur.

« Tu dois comprendre qu’en vous l’amour est la source ou de vertus, ou d’opérations qui méritent châtiment. L’amour incline toujours au bien de celui en qui il réside, parce que tout être répugne à se haïr ; et comme aucun être créé ne peut subsister par lui-même, et indépendant de l’existence qu’il a reçue du créateur, de même il ne peut aussi parvenir à haïr ce créateur : il en résulte, si cette division est juste, que le mal qu’on aime est celui de son prochain, et cet amour naît, dans votre limon, de trois manières.