Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/274

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tu as ressemblé à celui qui, marchant de nuit, porte derrière lui une lumière qui ne l’éclaire pas, mais qui montre la lumière aux autres, lorsque tu as dit : « Le siècle se renouvelle, la justice revient sur la terre avec les premiers temps de la vie, et une autre race descend du ciel. » Par toi je fus poète ; par toi je fus chrétien : mais afin que tu comprennes mieux cette image, je donnerai un coup de pinceau plus marqué.

« Déjà le monde était rempli de la vraie croyance semée par les messagers du royaume éternel, et tes révélations répétées plus haut se rapportaient à ce qu’annonçaient de nouveaux saints envoyés pour prêcher la parole divine. Je m’accoutumai à les visiter ; ils me parurent si irréprochables, que quand Domitien les persécuta, mes pleurs accompagnèrent leur supplice. Tant que je demeurai sur la terre, je les secourus ; enfin leurs mœurs droites et pures me firent mépriser les autres sectes. Je reçus donc le baptême avant de conduire dans mes vers les Grecs aux fleuves de Thèbes. Mais, par crainte, je fus chrétien honteux, et je professai longtemps le paganisme : à cause de cette tiédeur, le quatrième cercle m’a vu tourner pendant plus de quatre siècles. Toi donc, qui as soulevé le voile sous lequel était cachée la vérité de la Foi, puisqu’en montant ainsi nous avons le temps de nous entretenir, dis-moi, si tu le sais, où est Térence, notre ancien Latin, où sont Cécilius, Plaute et Varron ? Sont-ils condamnés, et dans quel cercle se trouvent-ils ? »

Mon maître répondit : « Ceux dont tu parles, Perse, beaucoup d’autres et moi, nous habitons, dans le premier cercle de la prison ténébreuse, le même séjour que ce Grec à qui les Muses prodiguèrent leur lait le plus pur. Souvent nous parlons ensemble de la montagne où résident nos tendres nourrices. Nous voyons près de nous Euripide, Anacréon, Simonide, Agathon, et beaucoup d’autres Grecs dont le front fut orné de lauriers. Là on rencontre aussi des âmes que tu as chantées : Antigone, Déiphile, Argia, et Ismène encore autant affligée qu’elle le fut sur la terre. On voit celle qui indiqua la fontaine Langia : on voit la fille de Thirésias, Thétis, Déidamie avec ses sœurs. »

Les poètes arrivés au haut des degrés, et cessant de monter, demeuraient en silence, regardant autour d’eux. Déjà les quatre premières servantes du jour étaient restées en arrière ; la cinquième se tenait au timon du char pour le diriger vers l’ardent méridien : alors mon maître dit : « Je crois qu’il faut marcher à droite pour tourner la montagne, comme nous avons fait jusqu’ici. »