Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/318

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le hêtre robuste des entrailles de la terre plus facilement que je ne levai les yeux sur Béatrix à son commandement ; et lorsqu’elle parla de ma barbe, au lieu de parler de mes yeux, je sentis l’amertume de ce langage.

Quand je levai la tête, je remarquai que les sublimes créatures cessaient de jeter des fleurs. Mes yeux, peu assurés encore, virent cependant Béatrix tournée vers la bête sacrée qui ne forme qu’une seule personne en deux natures. Malgré son voile et la distance où le fleuve bordé de fleurs laissait cette femme divine, sa beauté me paraissait encore vaincre ces premiers charmes qui l’avaient rendue la plus belle sur la terre. L’ortie du repentir me piqua tellement, que je conçus de la haine pour tout ce qui avait pu me distraire de Béatrix. Je fus pénétré d’un tel mouvement de reconnaissance que je tombai évanoui, et celle qui m’avait adressé tant de reproches sait ce que je devins.

Lorsque mon cœur rendit l’activité à mes sentiments extérieurs, je vis auprès de moi la femme que j’avais d’abord aperçue seule, elle me disait de m’appuyer sur elle : alors elle me traîna dans le fleuve où je fus plongé jusqu’à la bouche, et elle se retira sur l’eau avec la rapidité d’un léger esquif. Quand je fus près de la rive bienheureuse, j’entendis chanter d’un ton si doux « Tu me purifieras, » que je ne puis ni décrire ce chant ni me le rappeler. La femme ouvrit les bras, me saisit la tête et me submergea si profondément que je dus être abreuvé dans cette eau : elle m’en retira ensuite, et elle m’offrit ainsi baigné aux quatre belles danseuses qui m’entourèrent de leurs bras.

Alors elles commencèrent à chanter : Ici nous sommes des nymphes ; dans le ciel nous sommes des étoiles. Avant que Béatrix descendît au monde, nous fûmes désignées pour être ses servantes : nous te conduirons à elle ; mais pour que tu puisses supporter la lumière éblouissante qui est dans ses regards, les trois femmes qui sont de l’autre côté du char, et qui ont la vue plus pénétrante, fortifieront tes yeux. »

Ensuite elles me conduisirent vers le flanc du Griffon, où je vis Béatrix qui avait le visage tourné vers nous. Elles dirent : « Contemple-la de toutes tes facultés visuelles, puisque nous t’avons placé devant ces émeraudes sur lesquelles l’amour a aiguisé ses flèches pour te frapper. »

Mille désirs plus brûlants que la flamme attachèrent ma vue sur ces yeux resplendissants qui regardaient fixement le Griffon. De même que le soleil répercute ses rayons dans le miroir, de même la bête à deux natures envoyait ses rayons dans les yeux de Béatrix, tantôt sous une forme et