Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/333

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jour, comme si l’Être qui en a la puissance avait orné le ciel d’un second soleil.

Béatrix continuait d’avoir les yeux attachés sur le char éternel. J’en détournai les miens, pour les reposer sur elle, et en la considérant, je sentis en moi-même que je devenais tel que Glaucus, quand il goûta cette herbe qui lui fit partager la divinité des dieux marins.

Qui pourrait exprimer, par des paroles, cette faculté de transhumaner ! Que cet exemple encourage celui à qui la grâce permettra de connaître, par l’expérience, une si haute félicité !

Amour, qui gouvernes le ciel, tu le sais, si je n’étais pas alors tel que tu m’avais nouvellement créé, toi qui me fortifiais de tes rayons !

Quand j’admirai, ô noble objet de désirs éternels, cette révolution des cieux que lu diriges, cette harmonie que tu guides et que tu tempères, il me sembla que la flamme du soleil allumait un immense espace du ciel : jamais pluies et fleuves ne formèrent un lac aussi étendu.

Tant de splendeur, et la nouveauté du spectacle, excitèrent en moi une avidité pénétrante d’en connaître la cause.

Béatrix lisait en moi, comme moi-même.

Avant que je la priasse de satisfaire mon esprit tout ému, elle ouvrit la bouche, et me dit : « Toi-même, tu te livres à l’erreur, avec tes fausses idées ; tu ne vois pas ce que tu verrais, si tu les avais éloignées. Tu n’es plus sur la terre comme tu crois ; la foudre, formée dans la région où elle est née, n’a pas été lancée aussi rapidement que tu as été porté, toi, dans cette région.

Mon premier doute ayant cédé à ce peu de paroles accompagnées d’un gracieux sourire, je fus bientôt embarrassé dans les rets d’un doute nouveau.

« Je me suis reposé de ma grande admiration, dis-je à Béatrix ; maintenant je cherche à comprendre comment je m’élève au-dessus de ces corps si légers. »

Elle soupira pieusement, porta ses yeux sur moi avec cet air d’une mère tendre qui plaint le délire de son fils, et parla ainsi : « Toutes les choses ont un ordre entre elles, et cet ordre fait que l’univers ressemble à Dieu. Ici les hautes créatures voient la marche de l’effort éternel, qui est le but où tendent toutes les règles établies.

« Dans cet ordre, les natures s’inclinent par différentes voies. Elles s’éloignent plus ou moins du point où elles commencent ; de là elles s’éten-