Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/336

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le haut océan, et suivez le sillon que trace mon vaisseau sur l’onde, qui reprend d’elle-même son niveau.

Les héros qui passèrent à Colchos, quand ils virent Jason devenu laboureur, ne furent pas émerveillés autant que vous devez l’être.

Le désir continuel et créé avec nous de voir le royaume dont Dieu est la forme, nous emportait avec cette vélocité que vous voyez au ciel lui-même.

Béatrix avait les yeux fixés en haut ; je regardais en elle, et peut-être, en aussi peu de temps qu’un trait est placé, se détache de la noix et vole, je me vis arrivé dans un lieu où je fus frappé d’un spectacle admirable. Celle-ci, à qui aucune de mes pensées ne pouvait être cachée, se tournant vers moi, aussi gracieuse que belle, « Élève, me dit-elle, ton âme reconnaissante jusqu’à Dieu, qui nous a transportés dans la première étoile. »

Il me paraissait qu’elle était recouverte d’un nuage lucide, épais, solide et poli, semblable à un diamant qu’aurait frappé le soleil. La perle éternelle nous reçut, comme l’eau reçoit un rayon de lumière qui ne trouble pas sa surface.

On s’étonnera que je n’aie pas éprouvé ce contact qu’éprouve un corps qui choque un autre corps, et l’on en désirera plus vivement connaître cette essence où l’on voit comment notre nature s’unit à Dieu. Là, ce que nous croyons par la foi, sans démonstration, nous sera révélé d’une manière aussi parfaite que la vérité première connue de tous les hommes.

« Ô mon divin guide, répondis-je, aussi reconnaissant que je puis l’être, je rends grâces à Celui qui, du monde mortel, m’a transporté dans ce séjour ! mais dites-moi maintenant quelles sont les taches de ce corps, qui là-bas font inventer des fables sur Caïn. »

Béatrix sourit, et parla ainsi : « La flèche aiguë de l’étonnement ne doit pas te frapper, si l’homme, chez qui la clef des sens ne peut ouvrir, est exposé à se tromper lorsque les sens conduisent seuls la raison, elle n’a que de courtes ailes. Mais toi, dis-moi, de toi-même que penses-tu ? »

Je répondis : « La différence que j’aperçois ici me semble devoir être attribuée à des corps clairs et obscurs.

— Non, répliqua-t-elle, tu verras combien ton sentiment est faux, si tu écoutes l’argument que je lui opposerai. La huitième sphère a plusieurs étoiles de splendeur et de grandeur différentes. Si des corps clairs ou obscurs étaient la cause de ce que tu as remarqué, alors il n’y aurait qu’une seule et même vertu distribuée dans toutes ces étoiles. Or, des vertus