Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célèbre, que les méchants eux-mêmes me comblent de louanges ; mais ils n’imitent pas mes vertus. »

C’est ainsi que comme plusieurs charbons allumés ne produisent qu’une seule chaleur, cette image composée de mille amours sacrés ne fit entendre qu’une seule voix.

Je répondis : « Ô perpétuelles fleurs de la joie éternelle, qui, par une seule d’entre vous, exhalez vos odeurs célestes, apaisez ce grand jeûne, qui a si longuement excité ma faim sur la terre, où il n’a trouvé aucune nourriture !

« Je sais bien que si la justice divine sert de miroir aux autres degrés du ciel, votre sphère ne voit pas ses faveurs couvertes d’un voile. Vous savez aussi avec quelle attention je profite des avis que je reçois ; vous savez quel est le doute qui est pour moi un jeûne si ancien. »

Tel qu’un faucon délivré de son chaperon, remue la tête, s’applaudit avec ses ailes, montre le désir de voler, et se complaît en lui-même ; tel, en faisant retentir des chants qui ne sont connus que là-haut, se montra l’aigle qui renfermait tant de saints esprits.

Il m’adressa ces paroles : « Celui qui, tournant son compas, arrondit le monde, et y distribua tant de prodiges inconnus à l’intelligence humaine, et tant de choses qu’elle peut comprendre, ne manifesta pas seulement sa vertu, que toute sa puissance ne s’étendît encore au delà de cette création : aussi le premier être qui connut l’orgueil, et qui était pourtant la plus parfaite des créatures, pour n’avoir pas attendu la lumière de Dieu, tomba avant la maturité.

De là il arrive que les natures inférieures ne peuvent facilement contenir ce bien infini, qui ne se mesure qu’avec lui-même. Nos facultés ne sont qu’un rayon de l’esprit divin qui remplit toutes choses, et ne doivent, de leur nature, connaître Dieu qu’imparfaitement.

« La vue des mortels ne pénètre dans la justice éternelle que comme l’œil peut pénétrer dans les eaux de la mer : du bord, il voit le fond, il ne le voit pas en pleine mer ; cependant le fond existe également, mais son éloignement le cache aux yeux.

« Il n’est de vraie lumière que celle qui vient de ce rayon serein qu’on ne voit jamais se troubler ; toute autre n’est que ténèbres, ombre de votre chair ou son poison.

« Je t’ai expliqué, pour répondre à tes fréquentes questions, ce que tu n’entendais pas sur la justice divine. Tu disais : — Un homme est né au