Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/482

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une grâce, et ne recourt pas à toi, veut que son désir vole sans ailes. Ta bonté n’exauce pas seulement celui qui l’invoque, souvent elle prévient généreusement les demandes : en toi est la miséricorde ; en toi est la tendresse ; en toi est la magnificence ; en toi se réunissent les vertus de toutes les créatures.

« Celui que tu vois près de moi a parcouru le monde, du centre de la vallée infernale jusqu’à ce haut empire ; il a vu une à une les âmes des esprits qui habitent le Ciel. Il t’en supplie, accorde-lui assez de force pour qu’il puisse embrasser la connaissance parfaite de la dernière béatitude. Je n’ai jamais désiré ma vision bienheureuse, autant que je souhaite que tu favorises la sienne. Exauce mes vœux, dissipe par ton assistance puissante l’obscurité de ses facultés mortelles, et que le haut plaisir se manifeste à lui de toutes parts.

« Je t’en conjure aussi, ô reine qui peux tout ce que tu veux, après une si ineffable contemplation, conserve son cœur dans un état de pureté ! que ta protection le soutienne contre les passions humaines ! Regarde Béatrix et tous ces esprits divins ; en joignant leurs mains ils t’adressent avec moi la même prière. »

Les yeux que Dieu chérit et vénère se fixèrent sur le saint orateur, et montrèrent que la demande était agréée. Ensuite ils se dirigèrent sur l’intelligence suprême vers laquelle on ne peut pas croire qu’aucune créature envoie ses regards aussi fixement ; et moi qui m’approchais, comme je le devais, de l’objet de mes vœux, je sentis que l’ardeur de mon désir était arrivée à son terme. Bernard, en souriant, m’invitait à regarder plus haut ; mais déjà je lui avais obéi, et mes yeux pleins d’une nouvelle puissance pénétraient de plus en plus dans le rayon de lumière où tout est vérité. Dès lors, les facultés de ma vie surpassèrent celles de nos paroles qui cèdent à un tel spectacle ; insultée par un tel outrage, la mémoire fléchit.

Semblable à celui qui voit un objet en songe, et qui, à son réveil, en conserve encore l’impression récente, sans pouvoir se rappeler ce qu’il a vu, je dois avouer qu’en ce moment ma vision échappe à mon souvenir : mais un charme vague, né de cette vision, reste dans mon cœur. C’est ainsi que la neige se fond au soleil ; c’est ainsi que le vent emportait les feuilles légères qui contenaient les oracles de la Sibylle.

Ô splendeur éternelle, qui te refuses aux expressions des mortels, redeviens une faible partie de ce que tu me semblais être ! Accorde à ma langue une telle vigueur, qu’elle puisse transmettre à la postérité au moins une étincelle de ta gloire. Ta victoire sera encore plus éclatante, si tu dai-