Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
L’ENFER

d’une tendre intelligence ; aussi c’est dans le plus petit de tous les cercles, là où est relégué Dité, sur qui pèse l’univers, que quiconque a trahi, est voué à des tourments épouvantables. » Je parlai ainsi : « Ô maître ! ton explication est claire et me démontre bien ce que sont ces vallées infernales et les races qui les habitent : mais dis-moi, ceux qui sont plongés dans ces marais fangeux, ceux qu’emporte le vent impétueux, ceux qui sont battus d’une pluie éternelle, ceux enfin qui se heurtent à des injures si féroces, pourquoi ne sont-ils pas punis dans la cité enflammée, s’ils ont excités la colère de Dieu ? et s’ils n’ont pas excité sa colère, pourquoi sont-ils ainsi tourmentés ? — Hé quoi, reprit mon maître, ton esprit, contre sa coutume, s’abandonne au délire ; quelle autre idée vient t’occuper ? ne te rappelles-tu pas que l’Éthique, qui a été le sujet de tes études, traite des trois dispositions que réprouve le ciel : l’incontinence, la malice et la bestialité insensée ? ne te rappelles-tu pas que l’incontinence offense moins la Divinité, et ne mérite qu’une plus légère punition ? Réfléchis sur cette sentence : vois quels sont ceux qui sont punis dans les cercles que tu as franchis, et tu comprendras pourquoi on a séparé ces coupables des autres félons et pourquoi les premiers sont moins tourmentés par la justice divine.

« — Ô soleil, m’écriai-je, qui dissipes les ténèbres de mon esprit, et qui donnes du prix à mes doutes, comme à mon savoir, tranche un dernier nœud, et reviens à ce point où tu as dit que l’usure offense la bonté de Dieu ! » Mon guide répondit : « La philosophie fait connaître à celui qui l’étudie dans toutes ses parties que la Nature reçoit son influence de l’intelligence suprême et de sa divine volonté. La physique apprend ensuite que l’Art se conforme, autant qu’il peut, à la Nature, comme le disciple étudie à imiter le maître, et qu’ainsi l’Art n’est qu’une émanation de Dieu qui a formé la Nature. Si tu te rappelles bien la Genèse, c’est de la Nature et de l’Art que l’homme dut attendre les productions nécessaires à sa vie habituelle, et celles qu’une sage prévoyance ordonne d’amasser. L’usurier prend une autre voie, il méprise en elle-même la Nature, et, dédaignant l’Art qui l’accompagne, il place ailleurs son espérance. Mais suis-moi ; maintenant il faut marcher : le signe des Poissons s’avance sur l’horizon ; le char de Bootès s’approche des cavernes d’où s’échappe le Caurus, et plus loin l’accès de l’abîme paraît devenir plus facile. »