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XXXIII
INTRODUCTION.


Saint Denys allègue ce passage de l’épître de saint Ignace aux Romains : Mon amour est crucifié, ὁ ἑμὸς ἔρως ἐσταυρῶται (ho hemos erôs estaurôtai). Lorsque saint Ignace écrivit ces lignes en l’an 108, Denys, s’il vivait encore, devait avoir cent ans. Or, on peut présumer qu’il n’attendit pas ce grand âge pour composer ses traités et en particulier celui des Noms divins : ce qui se traduit en certitude quand on songe que ce livre fut destiné à Timothée, qui mourut avant l’an 108, date de l’épître de saint Ignace aux Romains. Il y a donc ici un anachronisme qui compromet gravement la justesse de notre sentiment sur l’authenticité des œuvres de saint Denys.

À cette difficulté, les savants ont donné plusieurs solutions. D’abord saint Denys survécut certainement à saint Ignace : celui-ci fut martyrisé la onzième année du règne de Trajan, la cent-dixième depuis Jésus-Christ, comme on le voit dans Baronius, qui cite Eusèbe et saint Jérôme[1] ; celui-là, la première année du règne d’Adrien, la cent vingtième de l’ère chrétienne, comme on peut le voir dans les divers martyrologes[2], dans les biographes Suidas et Michel Syngel, et dans Baronius[3]. Ainsi, admettant volontiers que saint Denys n’a point écrit les Noms divins depuis la mort de son ami, ne pouvons-nous pas avancer du moins qu’il a relu et retouché son œuvre, qu’il l’a complétée, éclaircie par quelques changements ou additions ? Il est vrai que nous nous livrons ici à une pure supposition ; mais nous sommes déterminés à la faire par les plus nombreuses et les plus graves raisons, qu’on a vues dans le corps de la preuve, et on n’a pour la rejeter qu’un motif, c’est qu’il s’agit d’une hypothèse. Ainsi nous affirmons par suite de documents positifs, et on nie par suite d’une répugnance préconçue.

Il y a plus : nous pouvons dire, démontrer même que le passage incriminé n’est pas de saint Denys, mais de

  1. Baron., ad ann. Domini 110.
  2. Beda, Ado, Notker, ad 3 octob.
  3. Baron., ad ann. 109, no 39 et seq.