Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/131

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que le malheureux eût repris sa place dans les rangs. Deux fois seulement, il a commandé la halte et ne nous a permis de quitter nos sacs, pendant trois minutes, qu’après avoir rectifié l’alignement des faisceaux.

— Alignez les crosses ! alignez les crosses ! Sergents, veillez à l’alignement des crosses ! Ils resteront sac au dos tant que l’alignement ne sera pas correct ! Rappelez-vous que, pendant la marche, je ne veux pas qu’il soit prononcé un seul mot.


— Est-ce qu’il est permis de boire, mon capitaine ? crie l’Amiral, à la seconde pause, comme le kébir renouvelle ses recommandations.

— Non ! On ne boit pas en route ! L’eau coupe les jambes !

Un éclat de rire énorme, homérique, secoue la compagnie d’un bout à l’autre.

— Rompez faisceaux ! En avant…, marche !

— Ça nous fera dix kilomètres sans pause, ricane l’Amiral, mais il ne sera pas dit qu’on s’est fichu de la gueule des Camisards sans qu’ils rendent la pareille.

— Voulez-vous vous taire ? crie un sergent qui marche à deux pas de nous.

Des grognements sourds lui coupent la parole. La révolte commence à gronder, en effet, dans les rangs de ces hommes que l’on mène comme des chiens depuis trois heures, qui, exaspérés maintenant, deviennent insensibles à la fatigue, ne sentent plus le poids du sac, et qui, tout en tordant leurs doigts crispés sur la crosse de leurs fusils, lancent aux chaouchs qui marchent à côté d’eux, l’œil morne, des regards