Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

effrayants. Ils vont à grands pas, maintenant, irrités, rageurs, sombres, comme les bêtes cruelles, mises en fureur par les coups de fouet et les coups de fourche des valets, réveillées de leur abattement par le cinglement des cravaches, et qui rôdent à grandes enjambées dans leurs cages, voyant rouge, n’attendant que l’arrivée du dompteur pour lui sauter à la gorge. Il ne faut plus qu’une goutte d’eau pour faire déborder le vase, qu’une chiquenaude pour faire éclater les colères qu’on contient encore à grand’peine. Cette goutte d’eau, la versera-t-on ? La donnera-t-on, cette chiquenaude ? Non, car à douze cents mètres à peine on aperçoit les roseaux et les hautes herbes qui bordent le petit ruisseau le long duquel nous allons camper…

Eh bien ! si… Tout d’un coup, le sifflet du capitaine se fait entendre.

— Halte !

Un homme est tombé, dans la deuxième section et, étendu comme une masse sur le sable, râlant, pâle de la pâleur de la mort, ne peut plus se relever. Les chaouchs s’empressent autour de lui, le prennent par les épaules, essayent de le remettre sur ses pieds. Il retombe, inerte. Nous avons eu le temps de le reconnaître. C’est Palet, ce pauvre diable qui revient de Sandouch, miné par la fièvre et la dysenterie, misérable qu’on force à traîner son agonie lamentable dans les sables qui recouvriront ses os. Car ce n’est déjà plus qu’un cadavre, cet homme dont la face exsangue, dans laquelle éclatent deux yeux énormes, nous a arraché à tous un cri de pitié.

— Relevez-le de force ! crie le capitaine. Forcez-le à marcher ! C’est dans son intérêt ! Nous serions obligés de l’abandonner là !