Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/146

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sais maintenant, si j’avais pu prévoir qu’on me ferait faire un métier pareil !… Ah ! je ne suis pas malin, c’est vrai, mais soyez tranquille, je n’aurais pas été assez méchant pour accepter…

Plus bêtes que méchants ? Oui, c’est bien possible. Mais est-ce une excuse ? Mille fois non. C’est nous qui en supportons le poids, de cette bêtise-là. Leur stupidité ! Est-ce qu’elle ne les met pas tous les jours aux pieds de ceux qui ont un galon plus large que le leur et qui leur commandent de se conduire en brutes ? Leur idiotie ! Est-ce qu’elle ne leur fait pas exécuter férocement des ordres qui leur répugnent peut-être mais qu’il leur serait facile de ne pas se faire donner ? Est-ce qu’ils ne pourraient pas, si le métier ignoble qu’ils font leur paraît si pesant, rendre leurs galons et demander à passer dans d’autres corps ? Qu’est-ce qui les retient ? qu’est-ce qui les force à se faire les bas exécuteurs des vengeances et des rancunes d’individus qu’ils méprisent ?

Ah ! parbleu ! ce qui les retient, c’est l’amour du galon, la gloriole du grade, le désir imbécile de rentrer au pays, envers et contre tout, un bout de laine sur la manche. Ce qui les force à s’aplatir, c’est le respect de la discipline, des règlements qui ont fait de ces paysans des valets de bourreaux et leur ont mis à la main un fer rouge pour marquer leurs frères à l’épaule.

Qu’ils aient le courage de leur opinion, alors, et qu’ils ne viennent pas se plaindre de l’abjection de leur état, sous prétexte qu’ils se sont fourrés bêtement dans un guêpier d’où il ne leur faudrait qu’un peu de cœur pour sortir ! Qu’ils ne viennent plus me corner leurs plaintes aux oreilles, à moi qui suis la tête de Turc sur laquelle ils taperont au moindre signe, car je leur dirai ce que je pense de leur conduite en partie double.