Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/185

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en sentant la tringle, vissée sans pitié, me faire craquer les os.


Moi, en colère ? Allons donc ! Et contre qui ? contre toi, peut-être, vil instrument, tortionnaire inconscient ? Contre toi ? Mais je ne t’en veux même pas, entends-tu ? de tes brutalités idiotes et de tes lâches sarcasmes. Et certes, si jamais l’heure de la justice vient à sonner, ce ne sera ni à toi ni à tes semblables que je crèverai la paillasse ; mais je me ruerai comme un fauve sur le système abject qui t’a jeté sur le dos, à toi, une livrée de bourreau et qui m’a revêtu, moi, d’un costume de forçat ; je l’agripperai à la gorge et je ne lâcherai prise que quand je l’aurai étranglé. Et, si je ne réussis pas à étouffer le monstre, s’il me saigne avant que j’aie pu en faire un cadavre, j’aurai du moins montré à d’autres comment il faut s’y prendre pour arriver à terrasser l’ennemi et pour le jeter, étripé et sanglant, comme une charogne immonde, dans le cloaque de la voirie.

C’est pour cela que je ne me mets pas en colère. Je souffre… Je souffrirai encore longtemps, sans doute ; mais, tant que j’aurai un souffle, tant que je sentirai mon cœur d’homme battre sous ma capote grise de galérien, je résisterai à l’âpre montée des passions qui usent, des emportements stériles. Elle dure trop peu, vois-tu, la colère. Je n’ai que faire, moi, des délires que le vent emporte et des fureurs qu’une nuit abat.

Ce qu’il me faut, ce que je veux emporter d’ici, tout entière, terrible et me brûlant le cœur, c’est la haine ; la haine que je veux garder au dedans de moi, sous l’impassibilité de ma carcasse. Car la haine est forte et impitoyable ; le temps ne l’émousse pas ;