Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/192

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poltron pour oser. Il a l’appréhension du châtiment, la crainte du règlement, la peur du galonné…


La peur, oui, c’est bien la principale colonne du temple soldatesque. L’armée : une boutique dans laquelle on passe les consciences à la lessive et où les caractères, tordus comme des linges mouillés, sont placés sous le battoir ignoble de la discipline abrutissante.

Ce n’est que par la peur que le système militaire a pu s’établir. Ce n’est que par la peur qu’il se maintient. Il doit peser sur les imaginations par la terreur, comme il doit remplir d’obscurité l’âme des peuples pour les empêcher de voir au delà de l’horizon stupide des frontières. Il doit s’entourer d’un appareil mystérieux, d’une sorte de pompe religieuse où l’horreur s’allie à la magnificence, où les fanfares retentissent au milieu des hurlements du carnage, où l’on distingue confusément, jetés pêle-mêle sur le manteau sanglant de la gloire, les panaches des généraux et les menottes des gendarmes, le bâton de maréchal et les douze balles du peloton d’exécution, les palmes du triomphe et les ossements des victimes.

Il lui faut cela pour que la foule s’étonne et le redoute, comme elle reste bouche bée devant un charlatan dont le clinquant et le panache l’attirent, mais dont elle se recule, craintive, aussitôt qu’elle a vu briller une pince dans la main de l’opérateur. Il faut cela pour que le peuple, toujours en extase devant le merveilleux qu’il ne cherche pas à approfondir, soit saisi, à son aspect, d’une frayeur vague qui confine parfois à l’admiration. Sauvage qui se prosterne, plein de terreur et de respect, devant l’arme à feu qu’il ne s’explique pas et qui doit le foudroyer.