Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/204

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les bourreaux dans la chambre de la question, mais qui se laisse aller à la dernière des faiblesses aussitôt qu’on l’a réintégré dans son cachot aux guichets traîtres. Ma rage a besoin d’être alimentée tous les jours par une nouvelle injure. Ma haine des tortionnaires m’abandonne aussitôt que leurs tenailles ont cessé de me pincer la chair.

Ma haine !… Cette haine qui, ainsi qu’un roseau fragile, va se briser et me percer la main, et sur laquelle je pensais m’appuyer, comme sur un bâton, pour terminer l’étape horrible ; cette haine que je n’ai voulu sacrifier à rien, ni au souvenir ni à l’espoir, qui m’a fait repousser les consolations que m’offrait la nature, la nature magnifique, que j’ai refusé de regarder. Je n’ai pas voulu que sa splendeur, qui aurait illuminé la noirceur de mes rêves, émoussât le tranchant de ma volonté, comme la rosée du soir, qui relève les fleurs couchées par la chaleur du jour, détend les cordes des arcs.

Ma haine… Je ne sais même plus si je hais. J’ai peur. Les ténèbres s’épaississent autour de moi. Toutes les formes du découragement se ruent à l’assaut de mon imagination fatiguée, malade. Et je me sens, peu à peu, rouler dans l’abîme du désespoir sans fond… J’ai froid à l’âme…