Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/209

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retient d’une main ferme et a mis sa voiture en travers de la route.

— Vous pouvez regarder ce qu’il y a dedans, nous dit-il, sans serrer les mains que nous lui tendons. Ne vous pressez pas, allez ! je ne partirai pas avant que vous ayez vu.

Et, se tournant vers le pied-de-banc :

— Tu entends, toi, je ne partirai pas avant. Si ça ne te plaît pas, c’est le même prix.

— Caporal ! crie Craponi au cabot qui, assis sous les gommiers, regarde la scène de loin, sans y rien comprendre ; caporal ! rappelez vos hommes, ou je vous porte une punition en arrivant à Aïn-Halib !

Le caporal s’élance en courant, mais Queslier est déjà monté sur une roue, moi sur l’autre. Au fond du tombereau un fusil dressé tout droit, un sac et un fourniment et, en travers, quelque chose comme un long paquet enveloppé de couvre-pieds gris.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demande Queslier qui se penche et tire à lui les couvertures. Ça a l’air lourd… Ah !…

Il pousse un cri et est obligé de se cramponner aux ridelles pour ne pas tomber à la renverse. Je me penche à mon tour, anxieux, et un cri d’horreur m’échappe aussi. Ce qu’enveloppent les couvre-pieds, c’est un cadavre. La tête amaigrie, aux joues creuses, au teint plombé, est collée dans un angle du tombereau et de cette face livide, affreusement contractée, aux yeux ouverts encore dans lesquels est restée figée l’expression d’une rage atroce, aux mâchoires fortement serrées l’une contre l’autre, se dégage une impression de souffrance épouvantable. Cette tête, je l’ai reconnue, Queslier aussi. C’est celle de Barnoux. Nous nous précipitons vers l’Amiral pour lui deman-