Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/229

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— Quel idiot ! s’écrie Rabasse ; ce qui me fait rager, moi, ce n’est pas tant d’être sur pied du matin au soir, que de me voir commandé par un imbécile de cette trempe-là ! Dire qu’on flanque des galons à des ânes pareils !


Moi, ce qui me fait rager, dans cet affreux camp d’El-Ksob, c’est chaque chose en particulier et tout en général. Je ne suis pas le seul, d’ailleurs ; presque tous les hommes du détachement, surmenés et agacés, sont surexcités d’une façon effrayante. Nous sentons peser sur nous la surveillance la plus étroite, l’espionnage le plus atroce. La moindre faute, le moindre écart, sont punis avec une sévérité exagérée. La fatigue et la faim sont érigées en système. Nous ne dormons qu’une nuit sur deux : tous les soirs, sur les cinquante hommes présents à l’effectif, on en commande vingt-quatre pour la garde. Il faut aller monter la faction à tous les coins du camp et jusque sur les montagnes, pour se remettre, le lendemain, au travail éreintant.

Il devient de plus en plus dur, ce travail. Les chaouchs, au lieu d’avoir le revolver au côté, l’ont maintenant à la main et parlent, cinquante fois par séance, de vous brûler la cervelle. Craponi, qui est revenu d’Aïn-Halib, et qui nous a pris en grippe, Rabasse et moi, nous met régulièrement en joue deux fois par heure. Seulement, ils n’osent guère mettre leurs menaces à exécution, les couards. Ils lisent dans nos yeux notre exaspération. Ils savent bien qu’au premier coup de revolver toutes les pioches se lèveraient et que ce n’est pas dans le sol que leurs pics iraient s’enfoncer.

— Mais tire donc ! a crié le Crocodile au caporal