Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/250

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couteau et qui jettent parfois comme un rayon d’or sur des remuements de boue : le père au bagne, la mère indigne, la maison de correction à treize ans… Toute l’épopée lamentable d’un de ces parias dans la pauvre âme desquels la société ne sait pas voir et dont elle jette un jour le cadavre, la bourgeoise jouisseuse, dans le panier sanglant du bourreau.

Il tuera, ce Prey, il tuera ; et, quand il aura payé sa dette ― la dette de l’hérédité sombre et de son organisme morbide ― des savants viendront, qui pèseront soigneusement son cerveau d’assassin, qui l’étudieront au microscope, qui déclareront que le criminel n’était que l’instrument aveugle d’une cause hors de lui et qu’il était irresponsable. Pauvre homme !…


Ça ne fait rien, l’officier me prend pour un blagueur ; il me l’a dit carrément.

— Vous croyiez que j’étais saoul, l’autre jour, quand vous m’avez dit que Prey était fou ? Vous êtes un fumiste… Mais vous avez raison d’essayer de tirer vos camarades de prison. À votre place, j’en ferais autant.

C’est bien possible. D’autant plus possible qu’il a l’air de s’abrutir de jour en jour davantage. Un abrutissement doux d’ivrogne larmoyant, un laisser-aller compatissant de gaga expansif. Presque tous les soirs, après la soupe, il vient nous retrouver dans le coin du camp où nous avons pris l’habitude de nous réunir. Il écoute nos histoires, nous distribue du tabac et, quand il est gris comme un Polonais, nous fait chanter en chœur.

— Chantez quelque chose de cochon… Moi, je n’aime que ce qui est cochon…

Il accompagne au refrain.