Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/255

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J’ai voulu croire bêtement, aveuglement ― parce que je voulais croire ― avec la foi du charbonnier. Je n’ai pas pu.


J’ai passé ainsi deux ans ; deux années sur le noir desquelles je ne pourrais plus rien voir si je n’avais sali leur voile sombre, de loin en loin, voluptueusement, de la tache rouge d’une cochonnerie ou de l’accroc d’une méchanceté. Il me fallait cela, de temps en temps.

Ma foi, oui ! J’éprouvais un besoin énorme, irrésistible, de faire saigner un cœur qui s’était ouvert à moi, de cracher dans une main qu’on me tendait et que j’avais serrée bien des fois avec effusion. Les haines étaient trop lourdes à porter, le dégoût me pesait trop fort pour qu’il me fût possible de garder au dedans de moi, bien longtemps, une dépravation d’autant plus profonde que j’en avais parfaitement conscience. J’en arrivais fatalement à détester les gens qui me montraient de l’affection. Leur bonté m’agaçait, leur confiance m’énervait. J’avais envie de leur crier : « Mais vous ne me comprenez donc pas ? … Vous ne voyez donc pas que je suis fatigué de faire patte de velours et qu’il va falloir que j’étende les griffes ?  » Puis, une idée me saisissait, implacablement me torturait. « Est-ce qu’ils me prennent pour un mouton, ces imbéciles ? Ils ne se doutent même pas que toute la douceur qu’ils me font avaler se change en fiel dans mes entrailles ! » Et un jour, n’en pouvant plus, exaspéré, je leur lançais au visage la giclée sale de ma méchanceté !

Alors, j’éprouvais une joie intense, véhémente, grandie encore par un serrement de cœur avec lequel je ne cherchais par à lutter, car il irritait ma jouis-