Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/88

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l’armée régulière revêtent la veste pour faire les corvées les plus dégoûtantes, celle des latrines, par exemple, il est clair qu’on ne peut mieux punir ceux qui se sont mal conduits qu’en les contraignant à endosser le même vêtement pour les revues de général-inspecteur. Il faudrait avoir le caractère bien mal fait, profondément perverti, pour ne pas être sensible à une prescription de ce genre-là.

Cette réflexion me met en gaîté. J’esquisse un sourire léger ― oh ! très léger. ― Seulement, le sergent l’aperçoit tout de même.

— Vous riez de mes observations, nom de Dieu ! Vous serez privé de vin pendant huit jours ! Venez, que je vous mène chez le perruquier.

Le perruquier, qui a été averti, probablement, est à la porte avec ses instruments. Il repasse son rasoir sur une vieille semelle de godillot. Que va-t-il me faire ? Va-t-il se livrer sur moi à l’une de ces expériences dont on m’a parlé au Kef ? Tient-on absolument à connaître le fond de mon caractère ? Va-t-il me saigner aux quatre membres pour voir si je supporterai l’opération sans crier ? Va-t-il simplement me circoncire ?

— Faites-le asseoir sur cette pierre au pied de votre marabout, lui dit le sergent à qui un de ses collègues vient de faire signe et qui est forcé de s’éloigner ; et je vous engage à le soigner.

Ça y est. Je m’assois plus mort que vif. Je regarde mon bourreau dans les yeux, comme pour implorer sa pitié.

Il n’a pas l’air méchant. Il a plutôt l’air triste. Il porte la tenue de travail ― blouse et pantalon blancs ― et un képi comme le mien. C’est un disciplinaire aussi, évidemment. J’en serai peut-être quitte pour la peur.