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LE VOLEUR

dans une banque sérieuse ; et comme je me suis souvenu, heureusement, des vingt mille francs promis avant-hier à Issacar, je les lui ai envoyés. Qu’ils lui servent, à cet excellent Issacar ! Je lui souhaite bonne chance — et à moi aussi.

Car je ne sais pas ce qui m’attend après tout ; et je trouverai peut-être autre chose que des roses, dans le chemin que j’ai choisi.

Voilà les tristes réflexions auxquelles je me livre, tout à fait malgré moi, dans le train qui m’éloigne de Londres. Ida est assise en face de moi ; mais son babil ne parvient guère à me distraire ; je lui trouve une expression de gaîté un peu forcée, quelque chose de trop enfantin dans les gestes…

— Comme vous avez l’air songeur ! me dit-elle, sur le bateau ; auriez-vous déjà gagné le spleen, en Angleterre ?

— J’espère que non ; mais je me laissais aller à des méditations philosophiques ; je me demandais comment la Société actuelle ferait pour se maintenir, sans voleurs et sans putains.

— Oh ! dit Ida, voilà une grande question ! Voulez-vous que je vous donne mon avis ? C’est qu’elle ne se maintiendrait pas cinq minutes.

La traversée est belle et courte. À Calais, nous nous trouvons seuls dans notre compartiment.

— Avez-vous un domicile à Paris ? me demande Ida.

— Non, je n’en ai plus ; mais ne vous inquiétez pas de moi ; je descendrai au premier hôtel venu.

— Quel enfantillage ! Vous y serez horriblement mal. Venez donc chez moi ; la place ne manque pas et je vous invite en camarade.

Je me défends, pour la forme.

— Laissez-vous donc faire, dit Ida ; vous ne serez pas dérangé ; je n’ai pas de pensionnaire en ce moment. Et c’est si gentil, chez moi ! J’ai un salon… on se croirait chez un dentiste américain. Si saint Vincent de Paul vivait encore, je suis sûre qu’il viendrait me faire une visite.