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LE VOLEUR

à trouver. J’ai connu des hommes rudement forts, et qui se disaient sûrs d’eux-mêmes, à qui elle a coûté bien cher. Si j’avais le temps, je te raconterais l’histoire de Canonnier ; ce sera pour une autre fois. À propos, je t’ai dit qu’il avait travaillé avec la petite femme que tu vas voir tout à l’heure. Tu sais ce qu’il lui donnait pour sa part ? 33 pour cent sur le produit net. Pas un sou de plus. D’ailleurs, c’est le prix. Elle essayera sûrement de te demander davantage, mais refuse carrément. Méfie-toi d’elle, car c’est une enjôleuse bien qu’elle n’ait pas plus de cervelle qu’un oiseau, et si tu la laisses faire, tes bénéfices avec elle ne seront pas grands. Elle n’est ni méchante ni perfide, mais c’est un bourreau d’argent.

— Quelle est sa position sociale ?

— Ah ! ça, mon petit, permets-moi de ne pas te l’apprendre. J’ai confiance en toi, mais je ne dis jamais ce que j’ai promis de garder secret. C’est une femme dont le mari occupe une haute situation, et qui évolue dans le monde chic ; voilà tout…

Une servante entre, dit quelques mots à Ida et se retire.

— Elle est là, me dit Ida. Viens avec moi ; je vais te présenter à elle et vous laisser ensemble tramer vos noirs complots.

Et, trois minutes après, nous sommes seuls dans le salon, la femme du monde et moi.


— Monsieur, me dit-elle, on a bien raison de dire qu’on est au bord du précipice dès qu’on a un pied au fond… Non, c’est le contraire ! Mais je suis sûre que vous m’avez comprise. Ah ! l’on a bien raison, Monsieur !

Je hoche la tête d’un air attristé, mais convaincu.

— Pourtant, continue-t-elle, si l’on connaissait les causes qui attirent les gens auprès de ce précipice ; si l’on savait les tentations, les entraînements… et quelquefois, les raisons grandes et généreuses, ah ! l’on serait moins prompt à porter des jugements…