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LE VOLEUR

— Certainement, Madame, dis-je d’un ton péremptoire, on serait beaucoup moins prompt !

— Ah ! Monsieur, si vous saviez quel plaisir j’éprouve à vous entendre parler ainsi ! Mon père, qui avait été magistrat, tenait le même langage que vous ; je ne puis pas me souvenir de lui sans pleurer, quand je suis toute seule. Mais le monde est si méchant, aujourd’hui… Vous savez, Monsieur, pourquoi j’ai demandé à faire votre connaissance. Ne me le dites pas ! C’est tellement affreux… Comme c’est vrai, ce que vous me disiez tout à l’heure à propos du précipice ! On s’approche sans défiance, on avance le pied, et crac !… Il ne faudrait pas s’aventurer sur le bord, me direz-vous ? Ah ! Monsieur, que je voudrais ne l’avoir jamais fait !… Il faut que je vous dise comment j’ai été amenée à mal faire ; après ça, vous n’aurez jamais le courage de me condamner. Voici exactement comment cela s’est passé. Mon oncle, un frère de mon père, s’était trouvé subitement dans une situation très embarrassée. Il vint me voir et me dit : « Renée »… — je m’appelle Renée, Monsieur ; désignez-moi par ce nom quand vous aurez à parler de moi à Ida, vous me ferez plaisir ; même, appelez-moi Renée maintenant, si vous voulez. Mon nom est assez difficile à prononcer bien ; mon mari n’a jamais pu y réussir. Dites-le, pour voir ?

— Renée.

— Oui, très bien, c’est tout à fait cela. Bref, mon oncle me dit : « Renée, il faut me tirer de là. » Monsieur, j’ai mes défauts, je ne le cache pas. Mais la famille, pour moi, c’est sacré. J’ai toujours admiré cette jeune fille qui suivait son vieux père aveugle… Voyons, il y avait un si beau tableau là-dessus, au Salon ! Cette jeune fille… Ah ! c’est une Grecque ; vous voyez que je commence à me souvenir ; attendez, je vais me rappeler tout… Non, je ne peux pas… Ça ne fait rien… Ah ! c’était si joli ; ce tableau ! J’ai rêvé devant pendant une demi-heure. On voyait l’Acropole, dans le fond. C’est admirable,