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LE VOLEUR

— Non. Je préfère que vous me donniez un renseignement. Combien remettez-vous aux gens qui vous fournissent des tuyaux ?

— Trente-trois pour cent ; jamais un sou de plus.

— Bon. Vous ferez une exception en ma faveur : vous me donnerez cinquante pour cent… N’ayez pas peur, vous n’y perdrez rien ; au contraire. C’est moi qui vendrai les titres, et j’en retirerai le double de ce qu’ils vous rapporteraient à vous. Même, à l’occasion, si vous avez des négociations difficiles à conduire… À propos, vous ne faites jamais aucun mauvais coup ici, en Angleterre ?

— Jamais. D’abord, parce que l’hospitalité anglaise est la moins tracassière des hospitalités ; et ensuite, parce qu’on paye trop cher…

— Oui ; je connais leurs atroces statuts criminels, les meilleurs du monde, disent les middle classes anglaises, parce qu’ils écrasent l’individu et le convainquent de son rien en face de la loi et de la société. Peut-être la bourgeoisie britannique payera-t-elle cher, un jour, sa férocité à l’égard des malfaiteurs.

— C’est probable ; les septembriseurs n’étaient qu’une poignée ; et quels moutons, à côté des milliers de terribles et magnifiques bêtes fauves qui composent la mob anglaise ! Pour moi, j’ai toujours pensé que si l’affreux système pénitentiaire anglais avait été appliqué sur le Continent, la révolution sociale y aurait éclaté depuis vingt ans… Tenez, il y a à Londres un musée que je n’ai pas visité ; c’est Bethnal-Green Museum. Le sol en est recouvert d’une mosaïque exécutée, vous apprend une pancarte, par les femmes condamnées au hard labour ; il m’a semblé voir les traces des doigts sanglants de ces malheureuses sur chacun des fragments de pierre, et j’ai pensé que c’était avec leurs larmes qu’elles les avaient joints ensemble. Je n’ai pas osé marcher là-dessus.

— Hélas ! dit l’abbé en se levant ; honte et douleur en haut et en bas, sottise partout… Quel monde, mon Dieu !