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LE VOLEUR

Le compte est terminé, et l’abbé se frotte les mains.

— Bonne opération, hein ? Ah ! rendez-moi la clef de la maison, sac à papier ! Il faut que je la renvoie ce soir… Merci. Je vais m’occuper de réaliser le montant de ces titres et de ces bijoux et dans quatre jours, c’est-à-dire samedi, vous reviendrez me voir et nous partagerons en frères. Nous aurons même le plaisir de lire dans les gazettes, ce jour-là, le récit de votre voyage en province, ou tout au moins de ses conséquences.

— Récit qui donnera à plus d’un jeune homme pauvre l’idée de commencer son roman en marchant sur les traces du voleur inconnu.

— Quoi ! s’écrie l’abbé. Vous en êtes là ! Vous prenez au sérieux les jérémiades des personnes bien pensantes qui déplorent que les journaux publient les comptes-rendus des crimes ? Mais ces personnes-là sont enchantées que les feuilles publiques racontent en détail les forfaits de toute nature et impriment au jour le jour des romans-feuilletons sanguinaires. Les journaux, amis du pouvoir, savent bien ce qu’ils font, allez ! Leurs comptes-rendus ne donnent guère d’idées dangereuses, mais ils satisfont des instincts qui continuent à dormir, nourrissent de rêves des imaginations affamées d’actes. Il ne faut pas oublier que les crimes de droit commun, accomplis par des malfaiteurs isolés, sont des soupapes de sûreté au mécontentement général ; et que le récit émouvant d’un beau crime apaise maintes colères et tue dans l’œuf bien des actions que la Société redoute.

— Votre façon d’envisager les choses est très subtile, dis-je ; je vais donc vous apprendre ce que j’ai vu ce matin, au point du jour, et vous demander conseil.

Et je raconte à l’abbé mon voyage avec le bourreau, l’exécution à laquelle j’ai assisté, et je lui fais part des réflexions que m’ont suggérées ces événements.