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LE VOLEUR

le chantage ; des gouvernements auxquels le gouverné reproche sans trêve, comme à l’autre, leur immoralité ; mais jamais sa propre misère morale. La Révolution prend l’aspect d’une Némésis assagie et bavarde, établie et vaguement patentée, qui ne songe plus à régler des comptes, mais qui fait des calculs et qui a troqué le flambeau de la liberté contre une lanterne à réclame. En haut, des papes, trônant devant le fantôme de Karl Marx ou le spectre de Bakounine, qui pontifient, jugent et radotent ! des conclaves de théoriciens, de doctrinaires ! d’échafaudeurs de systèmes, pisse-froids de la casuistique révolutionnaire, qui préconisent l’enrégimentation — car tous les groupements humains sont à base d’avilissement et de servitude ; — en bas, les foules, imbues d’idées de l’autre monde, toujours disposées à prêter leurs épaules aux ambitieux les plus grotesques pour les aider à se hisser dans ce char de l’État qui n’est plus qu’une roulotte de saltimbanques funèbres ; les foules, bêtes, serviles, pudibondes, cyniques, envieuses, lâches, cruelles — et vertueuses, éternellement vertueuses !

Ah ! comme on comprend le beau rire de la toute-puissante armée bureaucratique devant l’Individualité, comme on comprend la victoire définitive de la formule administrative, et le triomphe du rond-de-cuir ! Et l’on songe, aussi, aux enseignements des philosophes du XVIIIe siècle, à ce respect de la Loi qu’ils prêchèrent, à leur culte du pouvoir absolu de l’État, à leur glorification du citoyen… Le citoyen — cette chose publique — a remplacé l’homme. La souveraineté illimitée de l’État peut passer des mains de la royauté aux mains de la bourgeoisie, de celles de la bourgeoisie à celles du socialisme ; elle continuera à exister. Elle deviendra plus atroce, même ; car elle augmente en se dégradant. Quel dogme !… Mais quelle chose terrible que de concevoir, un instant, la possibilité de son abolition, et de s’imaginer obligé de penser, d’agir et de vivre par soi-même !

Par le fait de la soumission à l’autorité infinie de