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LE VOLEUR

— Ida, ne fais pas cela ; tu t’en repentirais.

— Naturellement ; et ça ne m’empêcherait pas de continuer. Es-tu sérieux ? Oui ? Eh ! bien, écoute, j’ai reçu hier une lettre de Canonnier. Il est aux États-Unis…

— Après s’être échappé de Cayenne ; je sais ça. Mais en dehors de ce détail, j’ignore tout sur Canonnier. Pourquoi a-il été condamné aux travaux forcés, d’abord ?

— Condamné ! s’écrie Ida ; il n’a jamais été condamné aux travaux forcés.

— Et il était au bagne ?

— Oui. Mais pas comme condamné ; en qualité de relégué. Tu ne connais donc pas la loi de relégation ?

— Si, dis-je. C’est un des chefs-d’œuvre de la République ; si elle n’avait pas créé le Pari Mutuel, ce serait le seul.

— Alors, tu sais que, lorsqu’un homme a encouru deux condamnations, le tribunal a le droit de prononcer la relégation, sans autre forme de procès, et de l’envoyer finir ses jours à Cayenne ou à la Nouvelle-Calédonie.

— Certainement. La chose est charmante. Une pareille mesure, en si parfait désaccord avec les règles les plus élémentaires de l’équité, ne pouvait être votée qu’à une époque de haute moralité, et par des hommes dont l’intégrité est au-dessus de tout soupçon. Vois-tu Ida, la Société bourgeoise me fait l’effet de traiter le voleur, clair de lune de l’honnête homme actuel, comme le précepteur du Dauphin traitait autrefois le compagnon d’études de son royal élève ; elle lui donne la fessée quand l’autre n’est pas sage.

— Il n’y a rien de tel que l’exemple… À dire vrai, cette loi est immonde. Je ne cherche pas à disculper Canonnier ; c’est un voleur de premier ordre ; Dieu seul, s’il existe, connaît le nombre de ses larcins. Pourtant, il n’avait subi qu’une condamnation pas sérieuse et il y avait déjà fort longtemps, lorsqu’il fut soupçonné d’avoir commis un vol perpétré au Havre,